Il s'agit du dernier round d'un trop long combat. Entre le dépôt de sa poursuite de 2,5 millions contre Cinar et ses dirigeants, Ronald Weinberg et Micheline Charest, et l'appel en Cour suprême de cette même affaire, hier, il s'est écoulé près de 17 ans.

Dix-sept ans à subir les mensonges et les affronts de gens qui se croient tout permis et s'estiment au-dessus des lois. Des fraudeurs, des tricheurs, des voleurs, des bandits de tout acabit, qui ont bafoué et violé les droits d'un homme digne depuis trop longtemps.

Claude Robinson s'est fait usurper, non seulement ses idées, mais le projet artistique de sa vie, sur lequel il a planché pendant 10 ans. Par des plagiaires (au sens où tous l'entendent, sauf Denise Bombardier) - Christophe Izard et France Animation, entre autres - qui ont fait fortune à ses dépens, et pourraient refuser, au mépris de la justice, de payer leur dette.

Même si Robinson a raison. Même si sa vie d'artiste a été gâchée. Même si la preuve de la contrefaçon de sa série Robinson Curiosité a été faite et refaite (hier encore). Qu'elle est implacable et incontestable, comme l'a démontré le juge de première instance Claude Auclair. Même si rien n'est plus clair.

Claude Robinson risque la faillite si la Cour suprême du Canada n'évalue pas à la hausse les dommages (revus à la baisse par la Cour d'appel) de cette affaire. Malheureux naufragé sur une île de cannibales, qui ne doit sa survie qu'à sa résilience, sa persévérance, sa détermination et un souci compulsif du détail.

Si Robinson n'avait pas conservé le moindre reçu de ses rencontres et l'ensemble des copies des documents qu'il a remis aux dirigeants de Cinar, alors une petite société à laquelle il avait confié la promotion de son projet en 1986, son combat serait terminé depuis longtemps. S'il n'avait pas mené sa propre enquête, il aurait été digéré par le système judiciaire.

Je venais d'être nommé reporter aux Arts lorsque j'ai été affecté au suivi du scandale de Cinar, à l'automne 1999. Un scandale révélé grâce à Claude Robinson, qui a informé la GRC de la présence d'un prête-nom au générique de Robinson Sucroë, produit par Cinar, et de plusieurs autres séries. L'onde de choc a secoué le monde de la production télévisuelle.

Relire ce qui a été écrit à l'époque, c'est mesurer l'ampleur des mensonges et du sans-gêne des dirigeants de Cinar - devenue entretemps une grande entreprise cotée en Bourse - qui se demandaient pourquoi Claude Robinson tentait de ternir la réputation du «Disney québécois». Micheline Charest l'avait même accusé de faire de la «projection malhonnête» ...

La justice est parfois ironique. Elle est surtout très lente. Des neuf juges actuels de la Cour suprême, seule la juge en chef Beverley McLachlin était en poste au début de ce long processus judiciaire.

Claude Robinson n'a jamais perdu le cap. Malgré les pourvois en appel. Malgré sa vie chamboulée depuis le 4 septembre 1995, jour où il est tombé par hasard, à l'antenne de Télétoon, sur l'image animée de son propre visage, sous les traits d'un certain Robinson Sucroë.

Il a passé près de deux décennies à se battre pour faire reconnaître ses droits, son art, sa réputation. À colliger minutieusement, maladivement des éléments de preuve. À mener un combat qui a mobilisé toutes ses énergies, l'habitant tout entier, l'empêchant de créer.

Il continue de se battre. Pour que justice soit rendue, pour sa dignité, pour son legs. Il a failli y laisser sa santé, mentale et physique, en plus de tout ce qu'il possède. Comment ne pas s'en indigner?

L'histoire de Claude Robinson est celle d'un battant. Celle aussi d'un système judiciaire déficient, d'une lenteur abominable, qui favorise les plus fortunés, les mieux assurés, les plus acoquinés avec les paradis fiscaux et les avocats abuseurs de procédures.

L'histoire de Claude Robinson, c'est celle de David contre Goliath. Espérons qu'au final, comme dans la légende, ce soit David qui gagne le combat.