Cette violence existe. On la connaît trop bien. Ce n'est pas une raison pour la montrer de manière aussi crue et insistante à l'écran. Ce n'est pas non plus une raison pour la cacher et en faire abstraction.

Je parle bien sûr de la violence des fusillades dans les écoles, au coeur du premier épisode de la deuxième saison de la télésérie policière 19-2, diffusé hier soir à Radio-Canada.

Cette entrée en matière percutante, d'une violence par moments insoutenable, est à mon sens une pièce d'anthologie télévisuelle. Un coup de poing au plexus, qui laisse sans voix, pantois, et qui marquera sans doute l'histoire de notre télé.

Parce que c'est un épisode qui met en scène des événements qui nous sont douloureusement familiers. Parce qu'il le fait sans affect, avec un parti pris esthétique ultra réaliste. Parce que nous étions hier soir, grâce à la réalisation de Podz, aux côtés de Berrof et de Chartier, constamment dans la mire du tireur. Au plus près des victimes, terrorisées, ne tenant pas en place malgré les appels au calme des policiers. Avec l'agent Tyler, lui aussi pétrifié de peur. Avec le sergent Houle, craignant pour la sécurité de ses hommes. Devant la porte entrouverte de cette classe où une prof a été fusillée à bout portant.

Auditoire captif, projeté en temps réel en pleine tragédie, le regard en constant mouvement planté à cinq pieds des policiers. Témoin privilégié d'une traque folle et imprévisible, illustrée brillamment par un plan-séquence de 13 minutes, véritable tour de force de réalisation.

Cet épisode offrait à voir, d'un strict point de vue artistique, un grand moment de télé. Qui happe, qui interpelle, qui émeut, qui fait réagir et réfléchir. Fallait-il montrer ainsi toute cette violence? La réponse est simple: pas nécessairement.

Peut-il y avoir des conséquences néfastes à exposer le public au réalisme de telles images? Je n'en sais rien. Je ne suis pas psychologue. Je sais en revanche, pour en avoir été témoin depuis des années, qu'il y a énormément de violence à la télévision - pas seulement sous forme de fiction - et qu'il serait difficile de faire la démonstration que nous y sommes tous invariablement insensibles.

Comme téléspectateurs, nous sommes à ce point souvent bombardés d'images violentes qu'il nous faut sentir qu'elles sont plausibles, réalistes, voire «réelles», pour y réagir. C'est le parti pris des artisans de 19-2. Montrer la violence telle qu'elle est. L'oeuvre de Podz, au cinéma comme à la télévision, est marquée par ce souci de réalisme.

Le réalisateur met ici en scène la violence non pas par voyeurisme ou par complaisance, ni du reste pour faire la démonstration de sa prouesse technique (le plan-séquence a nécessité 12 essais), mais par choix. Un choix qui, selon moi, se défend de lui-même.

Cautionner ce choix audacieux, cette licence artistique, n'équivaut pas à déclarer que tout est permis sous le couvert de l'art. Seulement que l'art permet d'interpréter et d'appréhender la réalité. Et que c'est à la fois ce qui fait sa beauté et sa nécessité.

Aurait-il mieux fallu que Podz édulcore le propos des scénaristes, en suggérant davantage la violence? Je crois qu'en choisissant de tout montrer ou presque, et en prenant pour ainsi dire le téléspectateur en otage, le réalisateur a consciemment pris le risque de le heurter tout en le sensibilisant à une réalité.

Qu'importe à mon sens qu'il ne s'agisse pas de la reconstitution d'un événement réel. Il y a eu assez de tragédies comme celles de Dawson, de Concordia ou de Poly, ici même, pour que nous ayons l'impression d'avoir une idée claire du déroulement des événements. Sans peut-être les avoir jamais ressentis, dans notre for intérieur, comme cet épisode a pu nous le permettre.

C'est à cette expérience traumatisante que nous a conviés l'équipe de 19-2, hier, ses acteurs (excellents) au premier chef. Le récit de cette fusillade a une résonance parfaitement crédible, sauf peut-être dans son introduction, un peu trop arrangée avec le gars de vues à mon goût. Que fait ce jeune homme avec un gros sac noir à l'entrée de l'école, bien en retard pour son cours? se demandent Berrof et Chartier, passant devant l'école par hasard. Un coup de fil d'un concierge au 911 aurait tout aussi bien mis l'intrigue en place.

Il s'agit là de préoccupations secondaires et accessoires. Comme le débat autour des efforts de Radio-Canada pour encadrer convenablement la diffusion de l'épisode, grâce à une page web intitulée «Des armes à l'école» renvoyant à des reportages récents et aux coordonnées de groupes d'aide comme Tel-jeunes ou Jeunesse, J'écoute. Le procédé peut sembler opportuniste dans le contexte de la fusillade de Newtown. Mais si le diffuseur n'avait rien fait, j'imagine que plusieurs le lui auraient aussi reproché.

Le véritable débat se trouve ailleurs. Dans les choix. Celui du réalisateur d'illustrer clairement ou non la tragédie. Celui du téléspectateur d'en être ou non témoin. Que la télévision suscite ce genre de réflexion témoigne certainement de sa vitalité.