C'est un beau film, Ésimésac. Bien tourné par Luc Picard, bien écrit par Fred Pellerin, bien joué par une distribution de grand talent. On y découvre avec plaisir un nouveau visage. Celui de Nicola-Frank Vachon, un acteur de théâtre de Québec, parfaitement convaincant de candeur et de force brute dans le rôle-titre.

Ésimésac est le nouvel homme fort du village. Son drame est qu'il n'a pas d'ombre. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir des idées folles. Comme semer un potager dans la terre rocailleuse de Saint-Élie-de-Caxton, pour ses villageois qui risquent de mourir de faim. Cela lui vaut un duel avec l'autre homme fort du village, le forgeron Riopel (Gildor Roy), père de la belle Lurette (Maude Laurendeau), pour qui ce jardin communautaire est une hérésie.

Fable fleur bleue sur la solidarité en temps de misère, Ésimésac met en scène les principaux personnages qui meublent depuis des années l'imaginaire du prolifique conteur Fred Pellerin. Parmi lesquels Toussaint Brodeur (Picard), le propriétaire du magasin général, et Méo Bellemare, le barbier alcoolo et philosophe (René Richard Cyr, qui hérite des répliques les plus cinglantes).

Tourné dans des décors naturels, ce qui lui donne une texture moins fantastique que le précédent film du tandem Picard-Pellerin, Babine, Ésimésac est plus abouti, à la fois dans son récit et dans sa réalisation.

Luc Picard a gagné en assurance comme cinéaste. On sent qu'il a désormais davantage de repères et d'assises. Son troisième long métrage est plus maîtrisé, dans son intention, que le premier, L'audition, où l'on sentait son urgence à mettre en scène toutes ses idées. Un effet de réalisation n'attendait pas l'autre. Le film, par ailleurs émouvant, n'en finissait plus de finir.

On peut aussi reprocher à Ésimésac une finale théâtrale qui s'étire. C'est un beau film. Ce n'est pas, en revanche, un film exceptionnel. Ne comptez pas sur lui pour redresser d'un coup les performances aux guichets du cinéma québécois, ni pour faire le plein de prix Jutra dans quelques mois.

Si je précise qu'il n'est pas exceptionnel, ce n'est pas pour diminuer son impact ni sa portée. Mais parce que je ne peux m'empêcher de le juger à l'aune de la plus récente performance sur scène de Fred Pellerin, De peigne et de misère, spectacle splendide et magistral.

Je suis un nouveau converti au talent immense de Fred Pellerin. Je l'ai écrit récemment. Voir Ésimésac m'a confirmé l'intuition que j'ai eue en le découvrant sur scène. C'est sur les planches qu'il brille de tous ses feux.

Les personnages de Saint-Élie-de-Caxton, qui animent ses légendes truculentes, prennent corps au cinéma. Il leur manque à mon sens ce supplément d'âme, présent dans les monologues du conteur, pour que la poésie de Pellerin puisse se déployer dans toute sa charge et son ampleur.

On me dira que je compare des pommes et des oranges. Et on n'aura pas tort. L'univers d'un artiste se transforme, inexorablement, d'une discipline à une autre. Quand on a goûté un grand cru, un bon millésime nous semble plus fade.

Histoire de cul

Le studio Universal est furieux de l'adaptation pornographique du best-seller sulfureux Fifty Shades of Grey et menace de poursuivre son producteur. Selon ce que rapporte le Hollywood Reporter, Universal a payé cinq millions pour les droits d'adaptation de la célèbre trilogie de E.L. James et s'inquiète de voir la version hard du roman faire ombrage (s'cusez-la) à son propre film.

Le studio allègue que le film XXX de deux heures trente (dont le DVD est vendu avec des jouets sexuels) ne se contente pas de parodier Fifty Shades of Grey - ce qui est permis -, mais s'en approprie la trame narrative. Le producteur de la version porno des romans prétend de son côté que son film est plus fidèle à la trilogie que ne pourra jamais l'être toute adaptation édulcorée, réalisée par un studio hollywoodien.

Je trouve tout ça bien divertissant. D'un côté, le studio hollywoodien qui souhaite racoler son public pour un maximum de profits. De l'autre, le producteur dont le métier est de racoler, qui tente de manger sa part du gâteau.

Il me semble que Universal s'excite pour bien peu de choses. À moins de ne rien avoir compris au phénomène, il serait étonnant que le public cible d'un roman de gare gentiment sadomaso ne cherche à consommer du porno en bonne et due forme.

Le public qui va se ruer dans les cinémas, à la sortie de la version soft de Fifty Shades of Grey, y aura été encouragé officiellement par la Motion Pictures Association of America et l'establishment hollywoodien. Il pourra découvrir en toute légitimité cette version harlequinisée de Sex and the City, mettant en vedette une étudiante en littérature virginale dans le rôle de Carrie, et un homme d'affaires adepte de soumission dans celui de Mr. Big.

Tout l'attrait est là, non? Dans la transgression des «tabous» de manière tout à fait consensuelle. Fifty Shades of Grey est l'équivalent littéraire du magazine Cosmopolitan, qui publie à chacun de ses numéros «Les 10 façons de satisfaire les fantasmes de son amant», en changeant deux ou trois virgules.

Le magazine est disponible à la caisse de tous les bons supermarchés. Le film grand public prendra éventuellement l'affiche dans un cinéma près de chez vous. Pour le reste, comme disait jadis une animatrice bien connue, pour le stupre et le cru, il y a Mastercard. Et une bonne connexion internet.