C'est l'éléphant dans la pièce. Le secret de polichinelle dont on ne fait même pas mention tellement il relève de l'évidence.

Depuis une semaine, le Journal de Montréal fait ses choux gras de la soi-disant «crise» du cinéma québécois. Avec des parts de marché autour de 4%, le cinéma québécois est au plus bas de sa popularité depuis une décennie. Les films dits populaires n'ont pas été populaires cette année, les films dits d'auteurs n'ont pas attiré de larges publics et il n'y a pas eu de box-office miraculeux pour un film aussi exigeant qu'Inch'Allah (à la manière d'Incendies).

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Chacun y est allé cette semaine de son point de vue sur ce qu'il faut faire pour rendre notre cinéma plus attrayant, alors qu'il connaît une année de disette. Il y a eu pour commencer cette première page du Journal de Montréal, mardi, établissant un parallèle assez boiteux merci entre les recettes aux guichets québécois le week-end dernier de Skyfall, le nouveau James Bond réalisé par Sam Mendes (2,4 millions), et Tout ce que tu possèdes, le film d'auteur poétique et austère de Bernard Émond (28 000$). On n'appelle plus ça comparer des pommes et des oranges. On appelle ça de la mauvaise foi sans nuances de couleurs.

Un peu plus loin, dans le même journal, on pouvait découvrir les observations très comiques de Vincent Guzzo (relatées dans ma chronique de jeudi), selon lesquelles on ne produit pas au Québec assez de comédies populaires et de films sur le hockey.

Guy Gagnon, un exploitant de salles et ancien président d'Alliance Vivafilm, Patrick Roy, l'actuel président d'Alliance Vivafilm, plus important distributeur de films au Québec, et Patrick Huard, humoriste, acteur et (hum...) cinéaste, se sont tour à tour prononcés sur la meilleure façon de «vendre» notre cinéma au grand public québécois.

Leurs points de vue sont légitimes et (sauf pour M. Guzzo) pertinents dans le contexte actuel. Seulement, ils vont tous, invariablement, dans le même sens: celui d'un prétendu sous-financement du cinéma dit populaire, qui expliquerait l'essentiel des problèmes de fréquentation du cinéma québécois. Et qui serait, on l'aura compris à force, à la base de la «crise» actuelle.

Il faudrait d'abord s'entendre sur ce qu'est une crise. Si une baisse circonstancielle des recettes aux guichets s'apparente à une crise, alors le cinéma québécois traverse une crise. À mon sens, on a la crise un peu facile ces jours-ci. Le cinéma québécois n'est pas la Grèce, tant s'en faut.

Il ne s'agit pas de nier une réalité. Tout le monde s'entend pour dire que 2012 fut une année décevante aux guichets. Il faut en prendre bonne note. Et en tirer quelques leçons. C'est ce qu'a fait François Macerola, président et chef de la direction de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC), en mettant sur pied une table de réflexion à ce sujet en janvier.

On peut reconnaître une situation. Faut-il pour autant remettre en question l'ensemble de la philosophie et le mode de financement du cinéma québécois? Bien sûr que non. C'est pourtant ce que certains s'appliquent à faire depuis une semaine.

«Les résultats d'une seule année ne font donc pas une tendance lourde. Il suffit souvent d'un seul grand succès pour augmenter la part de marché du cinéma québécois de 2% ou 3%. Alors ne paniquons pas», écrit François Macerola dans une lettre dont La Presse a obtenu copie.

M. Macerola, avec qui je n'ai pas toujours été d'accord, a bien raison. Une hirondelle ne fait pas le printemps. Une mauvaise année ne fait pas une crise. Et on ne peut conclure sérieusement à l'échec d'un modèle de financement après une année difficile, lorsque le même modèle a fait les preuves de son succès depuis 10 ans.

Le cinéma n'est pas une science exacte. De bons scénarios ne se transforment pas toujours en bons films. Les bons films ne sont pas toujours embrassés par un large public. S'il y avait une formule infaillible pour s'assurer de l'engouement des spectateurs pour un film, ça se saurait.

S'il n'y a pas de crise, pourquoi parle-t-on de crise, docteur? Peut-être parce que la crise sert les intérêts de certains? Si j'avais à résumer en une phrase la couverture de la «crise» par le Journal de Montréal cette semaine, ce serait par celle-ci: il n'y a pas assez de films commerciaux produits au Québec, notre système de financement est inadéquat, et c'est le contribuable, ce cochon payeur forcément en quête de divertissement léger, qui en fait les frais.

Ajoutez à cela le martèlement très peu subtil du même message (entre autres sur les médias sociaux) par J. Serge Sasseville, vice-président aux affaires corporatives et institutionnelles de Québecor Média, et vous pourriez avoir l'impression d'une campagne orchestrée par un groupe médiatique afin de laisser croire à l'échec du système de financement du cinéma québécois.

Il y a quelques semaines, M. Sasseville déclarait, à l'occasion d'un symposium sur la promotion du cinéma et de la télévision à Ottawa, que le modèle actuel de subventions encourageait les films d'auteur au détriment des films commerciaux. Au même moment, l'on apprenait que Québecor réclame un siège au conseil d'administration de la SODEC, principal bailleur de fonds québécois de notre cinéma. Alors qu'aucune entreprise privée ne profite d'un tel privilège. Une coïncidence, sans doute...