Le Saguenay a le maire Jean Tremblay, un Festival Juste pour rire à lui seul, capable de déclarer que Gérard Bouchard, l'un des esprits les plus fins du Québec, «est allé à l'école trop longtemps».

Le milieu du cinéma québécois, lui, a Vincent Guzzo, vendeur de pop-corn agréé (et accessoirement propriétaire de cinémas). M. Guzzo a confié cette semaine à mon confrère du Journal de Montréal Maxime Demers que «notre culture n'est pas toujours de faire des films artistiques, «lamentards», où on se plaint toujours de quelque chose», mais de «distraire le monde».

L'un appelle à la distraction du monde. L'autre distrait involontairement le monde. Tous deux incarnent le même anti-intellectualisme québécois, qui serait triste à mourir s'il ne faisait pas, tout à la fois, crouler de rire.

Le cinéma québécois connaît sa pire année, en matière d'affluence et de popularité, depuis une décennie. Les films québécois ayant pris l'affiche en 2012 cumulent moins de 4% de parts de marché pour l'instant. Ce n'est pas fameux, ai-je fait remarquer lundi à Pascale Dubé, de Cinéac, organisme spécialisé dans la compilation des recettes au box-office. «Pas fameux est un euphémisme!», m'a-t-elle répondu.

Il faut remonter aux années 90, alors que le cinéma québécois était largement boudé par le public, pour retrouver des statistiques semblables. Depuis 10 ans, les parts de marché du cinéma québécois se maintiennent autour de 10%, avec un pic en 2005 (18,2%), l'année des succès critiques et populaires exceptionnels de C.R.A.Z.Y. et des Invasions barbares.

Avec des recettes de 2,7 millions, Omertà de Luc Dionne est le seul film québécois «millionnaire» de 2012. Loin devant le plus récent documentaire de Paul Arcand, Dérapages (environ 700 000$), L'affaire Dumont de Podz (470 000$), Laurence Anyways de Xavier Dolan (425 000$) ou encore Inch'Allah d'Anaïs Barbeau-Lavalette (420 000$). «Il faudrait qu'on recommence à faire des films que le monde veut voir», dit Vincent Guzzo, sociologue du nacho triple fromage. De quoi le Québec a-t-il besoin, comme dirait Marie-France Bazzo? De plus de films sur le hockey, selon M. Guzzo, qui n'a pas dû voir Pour toujours les Canadiens et Lance et compte le film, deux fours à broil, pour évoquer pareille solution.

Vincent Guzzo n'en est pas à une ânerie près: «Les gens doivent réaliser quelque chose: les films qui font 5 millions, on peut bien les appeler des films de «mangeux» de pop-corn, mais au moins ils se payent. Les autres à subventions, qui font juste 500 000$ et sont supposément world renowned acclaimed, c'est correct, mais ils coûtent de l'argent aux contribuables.»

C'est drôle, c'est sûr. Mais c'est faux. Même les «films qui font 5 millions» sont «à subventions», comme le dit M. Guzzo sur le ton du démago adepte d'autos tamponneuses. La quasi-totalité des films québécois ne remboursent pas leurs frais, ce que devrait à tout le moins savoir le président de l'Association des propriétaires de salles de cinéma du Québec.

En plus de désinformer le public, Vincent Guzzo se trompe de cible. Ce n'est certainement pas le rendement en salle, très honorable, de films comme Laurence Anyways ou Inch'Allah qui est responsable des faibles parts de marché du cinéma québécois en 2012. Les films dits populaires, dont les budgets grugent - n'en déplaise à M. Guzzo - la part du lion des fonds publics, n'ont pas eu le succès commercial escompté.

Omertà a fait des recettes bien en deçà des attentes. Le film de Luc Dionne, malgré certaines qualités, n'était pas très réussi. Pas assez, du moins, pour que le bouche à oreille fasse son oeuvre. Et ne parlons pas de L'empire Bossé, censée être la «comédie de l'été», qui fut un échec à la fois critique et commercial (à peine 200 000$ de recettes pour un budget de 5,5 millions).

Dans une industrie (inévitablement) subventionnée, la question n'est pas de savoir s'il faut produire plus de comédies ou de films inspirés de téléséries. La question est de savoir si l'on préfère produire des films médiocres à gros budget qui font un million de recettes ou de bons films à budget moyen qui font 500 000$ de recettes.

M'est avis que la solution se trouve dans l'équilibre entre les films d'auteur qui construisent notre cinématographie nationale en la faisant rayonner à l'étranger, et les films populaires qui attirent un plus large public dans les salles.

Ce n'est pas en singeant les recettes du cinéma hollywoodien, tout en sacrifiant sa spécificité, que le cinéma québécois parviendra à reconquérir son public. Notre cinéma ne gagnera jamais à concurrencer Hollywood sur son terrain. Il ne peut que souffrir de la comparaison. C'est en mettant en valeur ses atouts - son ingéniosité, sa créativité, son talent, son humour et son esprit, autant que sa poésie - que le cinéma québécois arrivera à se démarquer. Cela vaut pour tous les genres de films: les drames world renowned acclaimed comme les comédies distrayantes.

Le plus désolant, à mon sens, c'est que Vincent Guzzo dit tout haut ce que trop de gens pensent dans l'industrie du cinéma québécois. À savoir que le public, si on lui sert un Coke format géant dans un siège high tech «super nice» (authentique pub télé), est trop con pour faire la différence entre un navet et un film digne de ce nom. C'est pour le moins méprisant.

Des oeuvres comme C.R.A.Z.Y., Les invasions barbares, Monsieur Lazhar ou Incendies, à la fois signifiantes sur le plan artistique et très populaires, sont peut-être des exceptions qui confirment la règle. Mais ce sont aussi des modèles à suivre. Qu'ont tous ces films en commun? Ils sont bons. La voilà, M. Guzzo, la solution miracle aux maux du cinéma québécois.