Il incarne le flegme élégant du dandy, l'autorité du mâle alpha et le magnétisme animal du sexe-symbole moderne. Les hommes envient son charme, son sang-froid, sa stature. Les femmes se liquéfient à son contact. Il les collectionne, comme les belles voitures. Depuis le temps...

Il s'appelle Bond. James pour les intimes (certaines le deviennent très rapidement). Depuis 50 ans, il conduit une Aston Martin, boit des martinis et tue des bandits, tout entier au service de la reine d'Angleterre et de la gent féminine. On ne lui connaît pas d'attache sentimentale particulière. Depuis le temps, pourtant.

Sous les traits de Daniel Craig, son plus récent interprète, on le trouve sexy, musclé, mystérieux. Il transpire la testostérone, sans négliger pour autant son côté métrosexuel. Il s'applique rigoureusement, même lorsque sa chemise a été maculée de sang par une balle perdue, à replacer les manches de son veston. Son look impeccable ne saurait souffrir d'aussi vulgaires considérations que la possibilité de sa mort.

Il n'a besoin d'aucun gadget pour se mettre en valeur. Son arme de destruction massive, c'est un corps ciselé, un regard d'acier, un physique de boxeur et une capacité inouïe à se sortir indemne du plus improbable bourbier.

Sa confiance en lui est inébranlable. C'est un Übermensch. Un modèle de virilité. Capable de se montrer vulnérable à l'occasion, pour mieux séduire, avec une intelligence, un esprit et un sens de l'humour qui le rendent, pour bien des femmes - et bien des hommes, du reste -, irrésistible.

Bond parmi les Bond, à 44 ans, Daniel Craig donne de l'espoir à tous ceux qui voient arriver d'un oeil chagrin, avec le scepticisme de l'expérience, l'inévitable passage du «jeune âge» au mitan de la vie. Alors même que le scénario de Skyfall, le 23e film «officiel» de la série, s'offre comme trame de fond l'âge de l'agent 007 qui, courbaturé, carburant à l'alcool, n'accuse plus les coups comme un jeune premier.

Le célèbre personnage d'Ian Fleming a pris du coffre avec les années. Il a mûri, est devenu plus complexe. Malgré son nationalisme exacerbé, on ne perçoit plus autant sa xénophobie. Il défend toujours les sacro-saintes valeurs occidentales de l'ancien Empire britannique, mais on le sent davantage à l'aise comme citoyen du monde, cultivé, capable de faire la part des choses.

Dans une scène d'anthologie de Skyfall, le Bond incarné par Daniel Craig se rattrape pour une cinquantaine d'années où d'aucuns ont pressenti chez le personnage une forme latente d'homophobie.

Les scénaristes ont joué de dialogues à double sens et d'humour au second degré pour faire dire au troublant Javier Bardem, excellent en «méchant» désaxé et inquiétant, qu'il ne «ferait pas de mal» à Bond s'il le pouvait. Daniel Craig est ligoté à une chaise. Bardem lui flatte les cuisses, lui promettant de lui faire découvrir des choses qu'il ne soupçonne pas... La réplique de l'agent 007 est délicieuse.

Il reste que James Bond demeure foncièrement, aujourd'hui comme hier, le macho qu'il a toujours été. Un coureur de jupons sexiste, qui passe d'une Bond Girl à une autre sans états d'âme, que celles-ci soient sacrifiées ou non au profit de sa propre survie.

Barbara Bach, l'actrice qui incarnait la Bond Girl de The Spy Who Loved Me (1977), a déjà qualifié James Bond de «porc chauvin qui se sert des femmes comme d'un bouclier pare-balles». Pour le personnage de M, la patronne du MI6 qu'interprète Judi Dench depuis 1995, Bond est «un dinosaure sexiste et misogyne, un reliquat de la guerre froide». Rien de moins.

Skyfall, à l'affiche depuis hier, a beau être un réjouissant feu d'artifice cinématographique, avec de l'action, des cascades (celle du Grand Bazar d'Istanbul est époustouflante) et une maîtrise scénaristique rarement atteinte dans un film de James Bond, et il a beau, grâce à la réalisation suave de Sam Mendes, se comparer avantageusement à bien d'autres titres de la série, il ne fait pas exception. James Bond y est authentiquement macho.

«Les femmes préfèrent les ginos, les machos, les camaro», chantait Marc Déry (à l'époque de Zébulon). En constatant que plus d'un million et demi de Québécois regardent l'émission de téléréalité Occupation double chaque semaine, on se dit que Déry, malgré la caricature, disait sans doute vrai. Et tant pis pour les hommes «roses» qui tentent de faire mentir les statistiques selon lesquelles le mâle québécois ne se charge encore aujourd'hui que de 15% des tâches du ménage.

James Bond est tout sauf un homme rose. Il est le fruit de l'imagination d'un ancien officier de la marine qui a travaillé pour les Services secrets britanniques pendant la Deuxième Guerre mondiale et est devenu journaliste et romancier, qui s'est inventé un alter ego à son image: un nationaliste anticommuniste, avec un fort penchant pour l'alcool et les femmes.

Ian Fleming, à dessein, a fait de la figure du macho impénitent un héros populaire du cinéma mondial. Pour le meilleur et pour le pire. Devant le succès phénoménal de la «franchise» cinématographique, la question se pose: pourquoi est-il socialement acceptable, aujourd'hui comme hier, d'afficher son affection pour le personnage ouvertement sexiste qu'est James Bond?

Parce qu'il a un certain «degré de sophistication», comme diraient les Anglais, qui compense son machisme? Parce qu'il incarne un refus du politiquement correct? Non. Parce que malgré tous ses défauts, c'est James. Et qu'il est irrésistible.