Erin Gee a de drôles d'idées. La jeune chanteuse et compositrice montréalaise a décidé de composer une symphonie très particulière, en puisant ses notes dans la gamme des émotions. Littéralement.

Cette diplômée en musique, qui prépare un mémoire de maîtrise au programme Open Media (Studio Arts) de l'Université Concordia, a été décrite ainsi que ses collaborateurs comme des «Mozart des neurosciences» par l'Agence France-Presse.

Son projet: créer une symphonie interprétée par des robots, à partir des ondes électriques émises par le système nerveux humain. Une «mélodie du cerveau», en quelque sorte, traduisant la colère, la joie ou encore la tristesse, grâce aux données fournies par des aiguilles (munies de microélectrodes) insérées dans le corps d'un sujet.

«On ne peut pas lire dans les pensées des gens, mais grâce aux plus récentes avancées technologiques, on peut identifier certaines émotions et en mesurer l'intensité», dit Erin Gee, une francophile originaire de la Saskatchewan, installée à Montréal depuis deux ans.

La chercheuse s'intéresse depuis un moment à l'art numérique et à la relation entre la musique et la robotique. Mais c'est lors d'un séjour en Australie, où elle a créé l'an dernier un opéra à l'aide de robots, que l'idée de composer une «symphonie des sens» a germé dans son esprit. «J'ai toujours été fascinée par les chiffres dans la musique, par le nombre de notes, par la façon dont les chiffres régissent la structure de la musique», dit-elle.

Grâce au concours du professeur Vaughan Macefield, qui pratique la microneurographie à l'Université de Western Sydney, elle a pu «capter» les émotions d'un acteur confronté à divers stimuli, notamment à des images violentes et érotiques, pour ensuite traduire ces données informatiques en sonorités distinctes.

«Il y a bien des mouvements répétitifs dans notre corps: le coeur, la circulation sanguine, la respiration. Ce sont autant d'informations relayées par nos terminaisons nerveuses au cerveau. Il est possible de visualiser les résultats de ces fluctuations dans notre corps. J'ai voulu les entendre!», m'explique la jeune artiste, rencontrée récemment dans un café du centre-ville.

Erin Gee a testé sa bande sonore émotive pendant plus de trois mois l'été dernier en Australie, se proposant elle-même comme cobaye. «Je ne pouvais mesurer que mon angoisse! dit-elle en riant. Ce n'était pas très concluant. J'ai eu envie de travailler avec un expert, un acteur dont le métier est de puiser dans ses émotions.»

Les plus récentes recherches de l'équipe de l'Université de Western Sydney pourraient servir d'autres desseins que l'art conceptuel et symphonique d'Erin Gee. Grâce à des données très précises, recueillies directement dans le système nerveux, le projet pourrait aussi être utile, croit-on, dans le traitement de certaines pathologies telles que l'autisme. Ce qui n'est certainement pas étranger à l'intérêt médiatique international qu'il suscite depuis quelques semaines.

«De pouvoir décrypter les émotions de cette façon, de pouvoir les traduire aussi clairement, peut sans doute être utile pour la science, et tant mieux si mon idée peut servir, mais je ne me suis pas concentrée là-dessus. Je fais de l'art avant tout», dit Erin Gee.

Après avoir participé à la mise au point du logiciel informatique nécessaire à son projet, elle travaille en ce moment, avec des techniciens des beaux-arts de l'Université Concordia, à perfectionner les prototypes de robots musiciens qui joueront d'un instrument s'apparentant au glockenspiel. «Mon défi, actuellement, est de réussir à confectionner des instruments que je trouve satisfaisants», dit-elle.

À quoi pourra ressembler cette symphonie de la tristesse, de la joie et de la colère? Erin Gee parle d'un orchestre de chambre «corporel», émettant une musique faite de carillons et de cloches. Son oeuvre devrait être présentée en primeur, à Montréal, à l'automne 2013, dans une salle où une dizaine de robots pourront se mouvoir librement, au gré des émotions d'un acteur, couché sur scène et muni de capteurs, auquel ils seront liés par l'intermédiaire d'un ordinateur.

Pour que je comprenne bien son concept, Erin Gee me fait un dessin. «Si l'acteur joue l'angoisse, me dit-elle en noircissant mon calepin, les robots vont se déplacer plus rapidement. Le public sera disposé autour. Ce sera très interactif. J'ai réussi en quelque sorte à combiner mes deux passions: la musique et les jeux vidéo!»