Certains y ont vu un chef-d'oeuvre et crient au génie. D'autres (j'en suis) y ont vu une prétentieuse et extravagante baudruche de deux heures quarante-cinq, qu'ils recommandent d'éviter à tout prix.

Il y a des films qui polarisent les points de vue. Cloud Atlas, à l'affiche depuis hier, est de ceux-là. La collaboration très attendue entre Andy et Lana Wachowski (The Matrix) et Tom Tykwer (Cours Lola cours), n'a laissé personne indifférent depuis sa présentation en septembre au Festival international du film de Toronto. Il s'agit d'une adaptation ambitieuse du roman éponyme de David Mitchell, candidat au Booker Prize en 2004, que d'aucuns avaient déclaré inadaptable au cinéma. Sans avoir lu le roman - qui accumule la poussière sur mon bureau -, je n'ai pas de difficulté à le croire, tellement ce récit se transforme en bouillabaisse indigeste au grand écran. À mon avis, évidemment.

Chaque critique, chaque cinéphile, transporte dans les salles obscures, comme un baluchon virtuel, son bagage cinématographique. Chacun a ses références, ses préférences, ses inclinations. Si vous fréquentez à l'occasion cette chronique, depuis le temps, vous savez où je loge. À l'enseigne d'un cinéma d'auteur - je le déclare sans m'en excuser - assez conventionnel.

Les prouesses techniques des nouveaux demi-dieux du cinéma de genre, portés aux nues par les amateurs de films de superhéros ou de série B asiatiques, me laissent généralement de glace. La science-fiction n'a jamais été mon genre de prédilection. Les récits d'anticipation, très peu pour moi. Qualifiez-moi d'ennuyeux, mais un drame naturaliste sans grands rebondissements, ancré dans un quotidien morne, suffit amplement à mes maigres ambitions de spectateur.

Je n'attendais rien du nouveau film des ex-frères (et désormais frère et soeur, changement de sexe oblige) Wachowski. The Matrix m'était passé 40 pieds au-dessus de la tête. Et si j'étais intrigué par la collaboration des Wachowski avec Tom Tykwer, perdu dans la brume des blockbusters depuis Cours Lola cours, c'est à reculons que j'ai choisi de découvrir Cloud Atlas plutôt qu'Inch'Allah d'Anaïs Barbeau-Lavalette, programmé à la même heure un samedi à Toronto.

Contrairement à la formule consacrée, je l'ai regretté. Et pas juste un peu. Cloud Atlas n'est pas qu'un condensé d'esbroufe cinématographique, c'est un retentissant naufrage qui se complaît dans sa propre démesure. Pensez à Waterworld, mais en moins réussi.

Dans ce pensum boursouflé, le spectateur tente de démêler six histoires qui lui sont racontées simultanément, se déroulant tantôt au XIXe siècle, tantôt au début du siècle dernier, dans les années 70, aujourd'hui même, dans un futur rapproché ou éloigné, aux quatre coins du globe (et plus loin encore). Heureusement pour lui, tous les protagonistes parlent l'anglais ou l'un de ses dérivés, tel ce patois semblable à celui des Teletubbies, inventé pour les besoins d'un récit postapocalyptique campé à Hawaii, d'un ridicule à tuer dans la bouche de Tom Hanks et de Halle Berry.

Hanks, Halle Berry, Jim Broadbent, Jim Sturgess, Hugh Grant, Susan Sarandon et plusieurs autres acteurs prêts à gaspiller leur talent interprètent jusqu'à six rôles, de différentes époques, dans cet europudding affligeant, nappé de sauce nouvel-âgeuse, afin de souligner au crayon gras le concept inusité au cinéma qu'est la réincarnation (j'ironise).

Il faut les voir tour à tour se métamorphoser - ils changent de sexe, de race, de nationalité, alouette - grâce à des postiches, des maquillages, de faux nez et des prothèses de dents cariées. On croirait voir

Mme Doubtfire, si le personnage de Robin Williams avait fait de la figuration dans la Guerre du feu de Jean-Jacques Annaud, sans plan d'assurance dentaire. Presque aussi ridicule que l'accent cockney qu'emprunte Tom Hanks pour nous faire croire à un écrivain voyou qui se venge d'un critique littéraire en le balançant par la fenêtre d'un gratte-ciel londonien.

Le seul avantage de voir tous ces acteurs faire des allers-retours spatiotemporels au gré d'un scénario sans queue ni tête, c'est d'avoir l'impression de découvrir six mauvais films pour le prix d'un seul. Une aubaine.

Bien sûr, il y a des séquences saisissantes dans Cloud Atlas. Plus de 100 millions de dollars - en euros surtout - ont été investis dans ce fantasme d'adolescents attardés nourris aux mamelles du cinéma de genre: la violence et le sang qui en découle. Ce qui n'empêche pas ce nuage-là d'être poussé par un vent particulièrement mauvais.

Les Wachowski, après la trilogie déclinante des Matrix et l'échec à la fois critique et commercial de Speed Racer, sont autant en manque d'un succès que Claude Meunier au Québec. Cloud Atlas n'est pas seulement leur Adam et Ève, mais leur Titanic. Et je ne parle pas du film...

Le vrai et le faux

Il y a du vrai et du faux dans le documentaire de Sarah Polley, Stories We Tell, à l'affiche depuis hier. Assez pour relancer le débat sur la responsabilité du documentariste dans sa façon de témoigner de la réalité. Stories We Tell est justement un film sur la construction de la réalité. Sur les multiples versions d'une réalité, selon le point de vue de celui qui la raconte et la manière dont il la raconte. À la fois portrait intimiste et exercice de style ingénieux, le troisième long métrage de la jeune actrice et cinéaste canadienne s'intéresse aux vérités du mensonge et aux impacts de la subjectivité. Sarah Polley y découvre que son père n'est pas celui qu'elle croyait. Ce n'est pas la plus grande surprise qui attend le spectateur...

Pour joindre notre chroniqueur: mcassivi@lapresse.ca