Je ne connaissais pas Fred Pellerin. Je le connaissais comme ça, comme tout le monde. Parce qu'il fait partie du paysage artistico-médiatique et parce qu'il sort de l'ordinaire. Parce qu'il semble incarner une certaine aberration temporelle, selon le constat général. Comme s'il était né à la mauvaise époque. Parce que sous ses airs de Harry Potter, il a de la graine de Gilles Vigneault. Et que ce mélange, forcément, intrigue.

Je l'ai souvent entendu à la radio et vu à la télé, en entrevue. J'ai entendu des extraits de ses spectacles et de ses chansons. J'ai vu Babine, le film que Luc Picard a tiré de son univers, que j'ai trouvé charmant, sans qu'il ne me marque outre mesure.

Je me suis toujours fait de Fred Pellerin une idée assez sympathique. Celle d'un folkloriste talentueux, d'un verbomoteur allumé, d'un contorsionniste du verbe particulièrement doué. Dans son langage inventé et ses jeux de mots d'esprit, j'ai reconnu, comme bien des gens, une filiation avec Sol. Quand on a de la fuite dans les idées...

Mais j'entretenais aussi sur Fred Pellerin quelques préjugés. Je voyais en lui un artiste nostalgique du bon vieux temps, héraut d'un traditionalisme ancré dans l'idéalisation des valeurs du passé. Dans la parlure de son coin de pays, j'avais l'impression d'une posture, assimilable à un certain refus du Québec contemporain.

Et comme je ne suis pas particulièrement friand de calembours ni de musique traditionnelle, je dois admettre que, malgré l'admiration sans bornes de mon père à son égard, je n'ai jamais été très attiré par l'oeuvre de Fred Pellerin. Je n'ai jamais écouté ses disques, de musique ou de contes. Et je ne l'avais jamais vu sur scène, avant mardi soir.

C'est un aveu que j'ai fait, un peu honteux, à un couple de comédiens que j'ai rencontré dans le hall du Théâtre Outremont, avant la première montréalaise de De peigne et de misère, son nouveau spectacle. «Jamais? Prépare-toi à rire et à pleurer!»

J'ai pris ce commentaire, lancé avec le sourire, comme une boutade. Pendant les deux heures qui ont suivi, j'ai ri comme je n'avais pas ri depuis des mois. À ces tournures de phrases ingénieuses, à ces idées foisonnantes, à ces descriptions hilarantes, à ces mises en contexte farfelues, à ces allusions contemporaines, à ces aphorismes et à ces expressions à double sens.

J'ai ri à en pleurer. Et lorsque, dans le crescendo d'un spectacle mariant de très belles chansons (de Richard Desjardins ou Félix Leclerc) à des contes captivants, liés par un fil très fin, comme un cheveu dans le temps, lorsqu'au coeur d'un vibrant plaidoyer pour la sauvegarde de notre patrimoine et de notre environnement, Fred Pellerin a versé une larme, j'ai pleuré aussi. Comme on me l'avait prédit.

J'ai pleuré devant la beauté de cette poésie, la fougue de ces vers, la conviction de ces paroles. Devant cet artiste hors du commun, transi de son art, en communion, en état de grâce. En découvrant, non seulement un conteur surdoué, mais aussi un poète. Capable d'émouvoir avec les images et la musique de mots livrés dans un tourbillon.

J'ai été séduit par sa cohérence et son éloquence, par sa culture et ses références. J'ai été séduit par ses trouvailles, par sa finesse et sa délicatesse. Par l'amour qu'il porte à ses personnages plus grands que nature, à notre langue, à notre culture, à notre pays et à ses légendes. J'ai été séduit par sa voix et sa manière toute particulière, à la fois frêle et assurée, d'habiter la scène. Par l'écho et la force de sa prise de parole, de son engagement social et politique, qui évite les écueils du lieu commun et des bons sentiments.

J'ai été soufflé par son interprétation, par son improvisation, par son utilisation brillante de l'ellipse. Par sa capacité à changer de registre, du conte à la chanson, de l'humour au drame, sans jamais brusquer son public. De peigne et de misère, magnifique spectacle, est un tour de force. Et Fred Pellerin - je le reconnais, j'ai du retard dans les nouvelles - a du génie.

C'est ce que je me suis dit à l'entracte, ébloui par un tel foisonnement de phrases et d'idées. C'est ce que je me suis répété à l'arrivée, sonné par la charge émotive, la densité du texte, la mise à nu d'un artiste sensible, rare, unique. Sur le chemin du retour, je n'ai cessé de m'en vouloir de ne pas être allé plus tôt à sa rencontre. Maudissant mes préjugés.