Ce sont des films qu'on ne verra jamais. Parce qu'ils n'existent pas. Ils existent un peu quand même: ils ont des synopsis, des dialogues, des musiques, des costumes même. Mais ils n'ont pas d'images. Un détail.

Des affiches? Je ne sais pas, les affiches. J'ai oublié de poser la question à Albin de la Simone, chanteur français qui présentera aujourd'hui - façon de parler - ces neuf «films fantômes» dans le cadre du Festival du nouveau cinéma de Montréal.

L'idée de ces films-qui-n'existent-pas est de lui. Il aime le cinéma. Il aime la musique de film. Il a eu envie, sans faire de film, de «se faire son cinéma». Et qu'un public puisse en faire autant à ses côtés.

«L'idée est venue du désir de faire de la musique instrumentale, parce que je viens du jazz, que j'écris des chansons, et que cela me manquait, m'a-t-il confié cette semaine. Mais j'ai vite eu envie de raconter des histoires. Il y a des musiques de film que j'adore, notamment celle d'Ennio Morricone pour Le clan des Siciliens (d'Henri Verneuil). J'avais imaginé un film, mais, quand je l'ai vu, j'ai été très déçu. Alors, j'ai imaginé ce projet.»

Ce soir, Albin de la Simone nous propose donc «sans projection ni pop-corn», mais avec des comédiens et des musiciens, neuf films «prêts à imaginer», selon son expression. «Des films que l'on peut aimer ou détester, dit-il, mais qui ne nous décevront pas parce qu'ils n'existent pas.»

Un projet pour le moins intrigant, et extrêmement prometteur, qui mettra en scène Albin de la Simone lui-même, en chef d'orchestre, ainsi que les comédiens Marc Labrèche et Sophie Cadieux, Laurent Lucas et Andrée Lachapelle, les musiciens Ariane Moffatt et Pierre Lapointe, le cinéaste Jean-Marc Vallée, et plusieurs autres, parmi lesquels mes amis critiques de cinéma Marc-André Lussier et Odile Tremblay.

À quoi peut-on s'attendre? «À rien!» me répond en riant Albin de la Simone, qui a passé tout le mois d'août à Montréal afin de peaufiner ce spectacle, qui se déroulera en deux temps. Il y aura d'abord une lecture des synopsis et d'extraits de dialogues par Marc Labrèche et Sophie Cadieux, accompagnés par des musiques «assez typées», selon les genres de films, composées par Albin de la Simone. Ensuite, le public sera convié à visiter une exposition où se trouvent tous les «bonus»: costumes, croquis, performances, etc.

Albin de la Simone reste volontairement évasif à propos de ce spectacle conçu sur mesure pour le FNC. Il ne veut pas que l'on en évente les surprises. Il y aura des projections vidéo - d'une séance de doublage notamment -, mais très peu d'effets de mise en scène, pour influencer le public le moins possible.

«C'est un projet expérimental. J'espère qu'il aura un sens pour les gens. Parce qu'il est tellement basé sur du vent!» dit son idéateur, qui ne veut surtout pas que son spectacle soit perçu comme «un truc snob de Parisien».

L'expérience des «films fantômes» a déjà été tentée à deux reprises par Albin de la Simone en France, ainsi qu'en forme embryonnaire, en première partie de ses spectacles (notamment à Montréal avec la collaboration de Rémi-Pierre Paquin). Mais jamais avec autant d'ambition et de préparation que dans le cadre du FNC.

L'artiste de 41 ans fréquente régulièrement le Québec depuis des années. Il est un habitué des FrancoFolies de Montréal. Grâce à ses amis Pierre Lapointe et Ariane Moffatt, il a rencontré Marc Labrèche l'hiver dernier. «Je voulais faire un projet avec mes amis, dit-il. Je suis un grand fan de Labrèche et j'ai été très content de le rencontrer. Le projet l'a amusé. Le but est aussi que toutes ces participations ne demandent pas trop de temps aux invités, qui, en revanche, nourrissent beaucoup le projet.»

Grâce à ses rencontres avec de nouveaux collaborateurs, Albin de la Simone compte bonifier son spectacle, auquel se greffent de nombreuses idées, mais toujours autour des mêmes films. «Les synopsis sont toujours les mêmes, dit-il. Les musiques sont toujours les mêmes. Ce sont les invariables. Mais les «bonus» changent. Un journal peut publier, par exemple, une critique d'un film. Je peux très bien aller à Tokyo rencontrer un acteur qui participe au remake japonais d'un des films. Je peux filmer un comédien en train de répéter. C'est illimité!»

Ce sont ces possibilités qui semblent le plus inspirer l'auteur-compositeur-interprète, dont le prochain disque doit sortir en février. «C'est quelque chose que je veux faire le plus longtemps possible, dit-il. C'est comme une boule de neige ou de poussière dans le désert, qui devient de plus en plus grosse. J'espère qu'un jour, ça deviendra déraisonnable!»

Il imagine très bien publier un livre d'art, faire paraître un DVD, organiser des expositions, des concerts autour de ses films inexistants. Rien ne semble à son épreuve. À condition que la règle de base subsiste: jamais ne sera diffusée une seule image de l'un des films. Pour une raison évidente, bien sûr: les films n'existent pas. Mais aussi parce qu'Albin de la Simone ne souhaite aucunement modifier son projet afin d'y intégrer du cinéma en bonne et due forme.

«Au contraire, dit-il. Pour moi, ce n'est intéressant que si, clairement, il n'y a pas de film. On ne cherche pas du tout à duper le public en lui faisant croire que le film existe. On lui dit seulement d'imaginer son propre film. Il ne sera jamais déçu!»

Les films fantômes, samedi, à 19 h et 21 h, au Centre PHI.