C'est un film qui agit un peu comme un baume sur nos plaies récentes. Un rappel d'une réalité rassurante: les communautés francophone et anglophone vivent dans l'harmonie à Montréal. Pas dans la diatribe, la rancoeur et l'amertume des dernières semaines. Dans l'harmonie. Un mot cucul peut-être, mais qui a un sens.

C'est le Montréal que je connais, que j'ai toujours connu. Le Montréal de ma génération, de celles qui ont suivi. Pas le Montréal des guerres fratricides d'autrefois, dans les cours d'école des années 50 et 60. Celui de la cohabitation, du respect, de l'amitié. D'autres mots fleur bleue qui ont un sens, surtout dans le contexte actuel.

Un contexte où foisonnent les accusations de part et d'autre, ou pullulent les théories du complot, où l'on croit nécessaire de désigner avec un doigt accusateur «les responsables». Ce week-end, j'ai appris que je faisais partie d'une liste circulant sur l'internet de journalistes qui «considèrent les Anglos-Québécois comme des victimes et les Québécois comme des agresseurs». Ah bon? Mon crime? Être perçu comme modéré par des collègues anglophones. Une tare rédhibitoire pour ceux qui ne croient pas au «nous inclusif» de Pauline Marois.

J'habite le Mile End depuis mes 20 ans. Près de la moitié de ma vie. Dans mon quartier, on trouve la plus grande concentration d'artistes au Canada. Des artistes nés ici, d'autres venus d'ailleurs, qui ont choisi de vivre à Montréal. Et qui, pour la plupart, se considèrent Montréalais avant de se considérer anglophones ou francophones, Québécois ou Canadiens.

Mais je voulais surtout vous parler d'un film. Il s'appelle From Montréal, il se passe beaucoup dans mon quartier, et il tombe bien. Ce documentaire, réalisé par Yannick B. Gélinas et coscénarisé par Jean Roy et le collègue Alexandre Vigneault sera présenté jeudi dans le cadre du festival Pop Montréal (17h, au Film Box). C'est une radiographie éloquente, non seulement de la scène musicale montréalaise actuelle, mais aussi de ce Montréal que je connais.

Montréal comme un état d'esprit. Où les Anglos et les Francos vivent de moins en mois en vase clos. Où une majorité d'anglophones reconnaît la richesse de ce qui fait du Québec une société distincte. Où une majorité de francophones parle d'affirmation nationale plutôt que de repli identitaire. Où nous sommes tous unis devant l'horreur de l'attentat du 4 septembre.

From Montréal revient sur le fameux «buzz» médiatique autour du «Montreal Sound», il y a une dizaine d'années, avec ses têtes d'affiche: Godspeed You! Black Emperor, Thee Silver Mount Zion, The Dears, Wolf Parade, Arcade Fire, etc. Le documentaire s'intéresse surtout aux retombées locales actuelles de cette «découverte» de la scène musicale montréalaise sur l'échiquier mondial du rock indie.

Toutes les collaborations, les liens tissés entre les communautés de musiciens. Les univers jusqu'alors parallèles, soudainement imbriqués. Le chanteur anglo de Besnard Lakes qui réalise l'album des Francos de Chinatown. Ariane Moffatt qui investit l'Hotel 2 Tango, studio mythique de la scène anglophone. Malajube ou Karkwa qui tournent aux États-Unis en chantant en français, sans le moindre complexe, en faisant le pari de l'universalité de leur musique.

Cette harmonie - pour y revenir - entre anglophones et francophones n'est jamais mieux illustrée que par le mariage mixte des groupes Karkwa et Patrick Watson. Entendre Louis-Jean Cormier se faire expliquer des paroles en anglais d'une de ses chansons par Patrick Watson, qu'il accompagne à la guitare, c'est mesurer le chemin parcouru depuis 50 ans. C'est comprendre l'entente possible, au-delà des divergences politiques, des malentendus historiques, des barrières linguistiques, entre musiciens issus de mondes différents.

Le portrait brossé par le documentaire, qui sera présenté le 29 octobre à Télé-Québec, n'est pas pour autant idéaliste. Il souligne le cocon dans lequel certains musiciens anglophones se réfugient en arrivant à Montréal. Le Mile End est un microcosme, où l'on peut, si on le veut, ignorer la réalité de la majorité francophone. Les jeunes musiciens de Braids n'ont sans doute pas encore saisi toute l'ampleur de ce que signifie «vivre en français» au Québec. Comme certains musiciens francophones ne mesurent pas tout à fait la menace de l'assimilation.

On m'accusera sans doute d'angélisme. Il y a encore de l'incompréhension, des malentendus, de l'intolérance de part et d'autre. Mais From Montréal en fait bien la démonstration: les musiciens anglos ne vont pas tous s'exiler s'il y a un référendum. Les Francos ne seront pas sommés de s'exiler s'ils chantent en anglais. Pour une nouvelle génération d'artistes, l'anglais, comme le français, n'est pas «la langue de l'ennemi». C'est au contraire, comme la musique, une façon de communiquer.