Claude Gagnon n'est pas un proche de Serge Losique ni un ambassadeur du FFM. Il estime toutefois qu'il est temps de rendre à César ce qui lui revient en reconnaissant l'apport inestimable de Serge Losique et de son festival au cinéma québécois.

«Des cinéastes comme Louis Bélanger et Denis Villeneuve ont beaucoup profité de la diffusion de leurs films au FFM, rappelle Gagnon. Un prix comme le Grand Prix des Amériques donne de la crédibilité à un film, ce qui est souvent nécessaire pour lui assurer une bonne distribution.»

Le nouveau long métrage de Claude Gagnon, Karakara, tourné au Japon avec Gabriel Arcand, sera présenté demain, en première mondiale, dans le cadre de la compétition officielle du 36e FFM. Une compétition qui a bien servi Claude Gagnon, dès le début de sa carrière; son premier long métrage, Keiko, a été présenté au FFM en 1978.

«À l'époque, on reprochait aussi au FFM de ne pas présenter assez de films québécois en compétition, dit-il. Mais du jour au lendemain, j'y suis né comme cinéaste, alors que j'arrivais de nulle part après avoir vécu 10 ans au Japon. Je crois que le FFM a pu profiter de mon succès au Japon pour mieux s'y faire connaître. La situation a été intéressante pour tout le monde.»

Claude Gagnon le constate: il réalise un type de cinéma qui a besoin de l'impulsion des festivals pour exister. Grâce à son Grand Prix des Amériques, Kid Brother (Kenny) a connu un succès mondial, avec 500 000 entrées en France et quelque 15 millions au box-office japonais. «Karakara est déjà assuré d'une distribution dans les huit plus grandes villes du Japon, dit-il. S'il gagne un prix au FFM, ce sera le double. Kamataki a fait environ 235 000$ au box-office québécois. Sans la vitrine du FFM, il en aurait fait 15 000$, peut-être.»

C'est grâce au FFM que Claude Gagnon a pu être invité à présenter ses films Larose, Pierrot et la Luce ainsi que Visage pâle au Festival de Berlin, en plus d'obtenir une nomination à la soirée des Césars et d'autres prix dans des festivals, croit-il. «Pour deux des cinq plus gros marchés mondiaux du cinéma, soit le Japon et la Chine, le FFM demeure un festival très important», dit-il.

Claude Gagnon est le seul cinéaste québécois en compétition au FFM cette année. Il explique la faible représentation du cinéma québécois au FFM entre autres par des questions de stratégie de distribution. Les distributeurs, dit-il, ont souvent les mains liées.

Si le Festival de Toronto peut se targuer de belles prises parmi les films québécois, en septembre, c'est qu'il «interdit» d'une certaine manière aux distributeurs de présenter leur film dans les deux festivals, selon Claude Gagnon. Une pratique courante, du reste, dans plusieurs festivals internationaux.

À choisir, les cinéastes et distributeurs québécois préfèrent la vitrine torontoise, où se rendent les stars et la presse internationales, ainsi que plusieurs acheteurs. Mais c'est une stratégie qui n'est pas nécessairement gagnante, croit Gagnon.

«On passe inaperçu à Toronto, à moins bien sûr d'être accompagné de Brad Pitt, dit-il. C'est l'absurdité du cinéma et des festivals. On s'est éloigné du véritable objectif d'un festival. Le FFM n'a jamais dérogé à sa mission de présenter un cinéma différent. Serge Losique a une tête de cochon, mais ça l'a bien servi.»

Le cinéaste de 63 ans reconnaît que les dirigeants du FFM n'ont pas toujours pris les bonnes décisions et sont souvent sur la défensive. «Il faut le comprendre, dit-il. Depuis le premier jour, ils ont été attaqués de toutes parts. Il y a des questions de perception. Une onde négative a toujours entouré le festival. Serge Losique n'a jamais prétendu ne présenter que des chefs-d'oeuvre!»

Claude Gagnon, qui a passé le plus clair des trois dernières années au Japon, estime avoir un certain recul vis-à-vis de ce qui se passe au Québec. Il ne comprend pas ce qu'il perçoit comme de l'acharnement contre le FFM et souhaite que le milieu du cinéma se mobilise pour soutenir le festival et en assurer la pérennité.

«C'est un festival qui en a inspiré d'autres, comme le Festival de jazz et Juste pour rire. Aujourd'hui, ça représente des millions de retombées pour Montréal. L'école de cinéma que Serge Losique a fondée à l'Université Concordia a permis l'éclosion de dizaines de cinéastes. Il faudrait quand même le reconnaître.»