C'est l'année du Dragon d'eau en Chine. J'ai eu beau chercher, c'est la seule explication plausible que j'ai pu trouver pour justifier la sélection, en ouverture du 36e Festival des films du monde, d'une comédie d'horreur de série B chinoise, réalisée comme un téléfilm des années 80.

Le film s'intitule Million Dollar Crocodile et met en scène, vous l'aurez deviné, un crocodile géant de 11 mètres (qui a parfois l'air d'en faire 22). Il ne vaut pas un million de dollars, mais les 100 000 euros convertis en yuans qu'il a avalés avec le sac à main italien d'une jeune hystérique prête à tout pour les récupérer.

Voilà la prémisse. Non, il ne s'agit pas d'une fable anticapitaliste. À moins qu'elle soit d'une subtilité trop fine pour être perceptible. Je vous ferai grâce du reste du synopsis de ce film aussi mal écrit que réalisé, aussi kitsch que conventionnel. Sinon pour dire qu'un héros improbable va se révéler, qu'il y aura de l'amour dans l'air, ainsi qu'une larme de crocodile (pas de farce). On nous menace en prime d'une suite. Soyez rassurés, vous n'en verrez jamais la couleur (verte), à moins d'être masochiste.

Je ne dirai qu'un mot de la musique qui accompagne ce bouillon indigeste: insupportable. Comme du reste, l'ensemble de cette navrante comédie burlesque qui a fait dire à une voisine de siège, jeudi soir, lors de la première au Théâtre Maisonneuve, que le FFM se moquait de son public. En effet, pendant la projection, je n'ai cessé de me dire: voilà 95 minutes gaspillées, que je ne reverrai jamais.

Million Dollar Crocodile n'est pas seulement mauvais, mais désespérément mauvais. Du navet pur jus acheté au rabais dans le quartier chinois, mettant en vedette un reptile rescapé de la pelouse du restaurant Madrid. C'est joué comme dans un téléroman bas de gamme, monté de manière aléatoire, les effets spéciaux sont dignes d'un mauvais pastiche de Jurassic Park. Un régal pour les amateurs de délires psychotroniques.

Ce qui me mène tout droit à ma deuxième théorie (après celle du Dragon d'eau): constatant le succès du festival Fantasia, consacré aux films de genre, auprès d'un jeune public, le FFM tenterait-il de singer sa programmation? Après tout, Serge Losique entretient des liens privilégiés avec l'Asie depuis des années. Peut-être n'aime-t-il pas qu'un jeune festival ait supplanté le FFM dans la diffusion du cinéma asiatique à Montréal.

Quoi qu'il en soit, disons-le une fois pour toutes: ce n'est pas parce qu'un film est volontairement mauvais qu'il l'est moins. Million Dollar Crocodile fait des efforts inouïs pour être mauvais. Assez pour que son équipe ne soit pas présente à sa première, jeudi, à la Place des Arts? On admettra que c'est assez étonnant pour l'ouverture d'un festival qui se targue constamment de son prestige.

La programmation de ce film, que Serge Losique a décrit sans rire comme un mélange de E.T. et de Jaws (M. Spielberg, pardonnez-nous), est une autre bourde à ajouter au compteur du FFM. Comment ce four s'est retrouvé en ouverture du Festival dépasse l'entendement. Il n'est clairement pas destiné au public fidèle du FFM. Et il est indigne d'un festival qui se réclame de la même trempe que Berlin, Venise et Cannes. Rien pour redorer son blason.

J'ai fréquenté bien des festivals internationaux depuis que je couvre le cinéma à La Presse, et en 13 ans, jamais je n'ai vu pareil ratage en ouverture d'un événement. À la soirée qui a suivi la projection, jeudi soir, à l'hôtel Intercontinental, il n'y avait malheureusement pas assez de musique pour masquer les discussions, portant presque invariablement sur la déconfiture du croco géant. La question qui était sur toutes les lèvres? À quoi ont-ils pensé? Je me le demande encore.