La pire fois, c'était dans le hall du cinéma Paramount, il y a sept ou huit ans. Une de mes critiques avait été agrandie et imprimée sur une affiche d'environ deux pieds sur quatre pieds. On pouvait y lire, en caractères de 350 points : «Imax 3-D : le meilleur». J'ai sursauté.

Le titre de ma critique, publiée quelques jours auparavant, était «Imax 3-D : le meilleur ET LE PIRE.» Quelqu'un avait évité le pire. «Évacué» le pire. Qui veut entendre parler du pire?

Manipulée comme une vieille photo du Politburo, ma critique avait pris, en format géant, une apparence mensongère. Je paraissais désormais cautionner un programme double que j'avais jugé fort inégal. Ce n'est pas la seule fois qu'on a modifié le sens d'une de mes critiques, mais c'est sans doute celle qui m'a paru la moins subtile.

On ne compte plus les exemples de phrases citées hors contexte pour des fins publicitaires par des studios et distributeurs, ici comme ailleurs. À Hollywood, le phénomène est devenu un art. Au Québec, les critiques ne sont pas davantage à l'abri de cette appropriation de sens.

Combien d'amis ont regretté avoir loué un film dont je semblais vanter les mérites en trois mots, à l'endos du boîtier. Méfiance, que je leur répète, surtout si vous voulez éviter le pire.

Je me suis remémoré ma critique «du meilleur et du pire» le weekend dernier, en voyant la publicitéde Christal Films pour À vos marques... Party! dans ce cahier. La citation qui a attiré mon regard était tirée d'un texte de mon collègue Marc-André Lussier : «De la belle jeunesse avec de belles valeurs.»

La veille, l'ami Lussier avait dit dans sa chronique tout le mal qu'il pense de ce film destiné aux adolescentes de 13 à 13 ans et demi.

Sous le titre De la belle jeunesse avec de belles valeurs donc, il écrivait : «À force de vouloir cibler à tout prix le groupe des 13-16 ans en lui présentant des modèles qui charrient "de belles valeurs", on en vient à perdre un peu le sens de la réalité sur le flanc droit, tout autant que le sens du romanesque sur le flanc gauche. On accouche finalement d'un truc de facture télévisuelle, tapissé de bonnes intentions.»

Rien qui puisse laisser entendre qu'il a apprécié le moindrement le film.

Christal Films, ne reculant devant rien, a sciemment cité hors contexte le titre de Lussier dans sa campagne publicitaire, lui soustrayant toute l'ironie pourtant évidente à la lecture du texte. Est-ce que dénaturer la pensée d'un auteur constitue une fraude intellectuelle? Je me pose la question. Afin de ne pas faire à mon tour les frais des manoeuvres de Christal Film une méprise sur le sens des mots est si vite arrivée , j'aimerais proposer moi-même à son département de marketing ces trois mots, tirés de ma chronique de la semaine dernière, qui résument bien à mon sens À vos marques... Party! : «Pas trop mauvais». Ç'aurait pu être pire.

Les techniques de marketing plus ou moins honnêtes afin d'attirer le public vers les salles obscures se sont multipliées ces dernières années. En 2000, le studio Columbia Pictures, qui appartient à Sony, s'est carrément inventé un critique de cinéma afin de faire mousser la popularité de ses navets (notamment The Animal et Hollow Man).

David Manning, supposé journaliste au Ridgefield Press, un petit hebdo du Connecticut, a fourni des citations dithyrambiques aux publicitaires de Sony pendant neuf mois. Or, David Manning n'a jamais existé. Il s'agit d'un nom d'emprunt, utilisé par des employés de Sony afin de créer de toutes pièces des citations favorables aux films de l'entreprise.

À l'été 2005, sans admettre sa responsabilité, Sony a accepté de payer 1,5 million pour mettre un terme au recours collectif de spectateurs qui s'étaient sentis lésés par les fausses critiques du studio. Dans la foulée, Columbia et Fox ont avoué avoir demandé à des employés de se faire passer pour des cinéphiles ordinaires dans des publicités télévisées.

Si le prétendu David Manning a pu sévir aussi longtemps, c'est que les phrases utilisées dans les pubs sont presque toujours les mêmes («À ne pas manquer!»,« À voir absolument!», etc.). Il n'y a en fait que le nom des auteurs qui change. Les citations proviennent parfois de médias si peu connus qu'on aurait de la difficulté à déterminer si les auteurs sont de véritables critiques, ou de simples internautes susceptibles d'être à la solde des studios.

C'est à se demander, parfois, où les distributeurs vont pêcher ces citations. Afin de faire contrepoids aux critiques assassines, le distributeur Alliance Atlantis Vivafilm a publié en décembre une panoplie de commentaires de quidams vantant les mérites du film Roméo et Juliette.

Est-il pertinent de savoir qu'Annie, 12 ans, a jugé ça formidable, que Steve, 25 ans, a trouvé que ça torchait ou que Desdémone, 6 ans, a apprécié le lyrisme onirique de la trame narrative? Dans sa plus récente publicité d'À vos marques... Party !, Christal Films intègre aussi les commentaires de «spectateurs ordinaires» pour pallier le manque d'enthousiasme des critiques : «Ce film est trop mega giga super extra Best On The World» s'excite Sadoumi (qui aurait entre 1 et 12 ans) ; «Trop malade comme film», ajoute Myrya, 16 ans ; «Belle soirée en famille», conclut Pierre Martin (36-49 ans).

Le distributeur aurait pu choisir parmi les commentaires suivants, retrouvés sur le blogue du film (qui censure rapidement les critiques trop négatives...) : «Votre film est vraiment un oscar parce que ses drole du debut jus'qua la fin mes je vous dit que se film est le plus bon que jai vu je les adoréééé continuer de travailler fort parce que un film comme sa on trouve pa sa n'importe ou»;

«Le film est super bon avrais dire il est exellent jespere que vous aler en faire (A vos marque PARTY 2) sane metonerais pas quil soit aussi bon que le premier continuee comme sa»

On comprend qu'on a voulu éviter le pire.