Ce n'est pas pour rien que Stephen Harper a attendu la visite à Ottawa, cette semaine, du gouverneur de la Californie Arnold Schwarzenegger avant de proposer un projet de loi visant à contrer le piratage de films au Canada. L'image du premier ministre s'engageant auprès du «Governator» à interdire de manière plus stricte la contrefaçon dans les salles de cinéma était fort symbolique.

Cette main tendue au célèbre voisin californien se voulait avant tout une mesure d'apaisement dans les relations canado-américaines. Un geste allant de soi afin de maintenir un partenariat stratégique dans un secteur économique florissant. L'aboutissement logique d'une volonté commune d'éradiquer les cas les plus flagrants de viol du droit d'auteur.

J'y ai plutôt vu l'abdication d'un premier ministre mou face à un cousin trop musclé, et la victoire d'un lobby tout-puissant sur un gouvernement bonasse.

Entendons-nous: je n'ai rien contre le fait de remédier à un vide juridique. Pour l'instant, il n'est pas criminel au Canada de «filmer un film», c'est-à-dire de filmer l'écran d'une salle de cinéma à l'aide d'un appareil numérique. Ce qui constitue un crime, c'est la reproduction du matériel filmé pour des fins de distribution commerciale. Faire la preuve de l'intention criminelle de celui ou celle qui filme l'écran n'est pas une mince affaire. Le projet de loi des conservateurs devrait clarifier la situation.

Le projet de loi est louable. Ce qu'il sous-tend l'est moins. Si les lois en matière de contrefaçon de films risquent bientôt de devenir plus coercitives, ce n'est pas tant parce que le gouvernement canadien l'aura voulu que parce qu'un lobby surpuissant l'aura pratiquement imposé.

Les pressions incessantes de Hollywood pour faire modifier des lois jugées trop laxistes par les grands studios sont à l'origine de ce projet de loi. Pas une soudaine volonté de mieux faire respecter le droit d'auteur. Le changement législatif souhaité tient d'abord à une histoire de gros sous. L'industrie américaine dit avoir perdu 6,1 milliards de dollars américains en 2005 en raison du piratage de ses films.

C'est pourquoi en janvier dernier, le président de la distribution de Fox a menacé de décaler la sortie de ses films au Canada d'une ou deux semaines par rapport à leur date de sortie américaine, que la Motion Picture Association of America a récemment placé le Canada sur une liste de «pays à surveiller» en compagnie des havres de la contrefaçon que sont la Chine, la Russie, l'Inde et la Malaisie, et que Warner a décidé que ses films ne seraient plus projetés en avant-première au Canada.

Comment dit-on «chantage» en anglais? Avant qu'un studio ne décide de se couper lui-même d'une partie de son «marché domestique» (dans l'industrie du cinéma, le Canada est parfaitement assimilé aux États-Unis), portant préjudice à son box-office au profit de ses concurrents, les poules auront des dents.

Un marché domestiqué. L'expression illustre à merveille la rencontre Harper-Schwarzenegger, tellement l'intégrité et l'indépendance nationales du Canada semblent y avoir été reléguées au second plan. Car il ne faut pas être dupe: cette histoire de loi visant à interdire les caméras dans les salles de cinéma en est aussi une de lobbying acharné et de statistiques difficiles à vérifier qui frôle l'ingérence politique.

C'est une histoire qui nous concerne tout spécialement étant donné qu'elle repose sur la prémisse que Montréal serait la capitale mondiale du film piraté par caméra numérique. C'est du moins ce que prétend l'Association canadienne des distributeurs de films, qui estime que le piratage en salle serait à l'origine de 90% des copies illégales de films et que les cinémas canadiens seraient à blâmer pour près de 50% de toutes les copies «maîtresses» reproduites et distribuées illégalement à travers le monde. Selon cette même association, 75% de ces copies «maîtresses» proviendraient de Montréal.

Des spécialistes mettent en doute ces statistiques qu'ils considèrent exagérées. Il faut dire que l'Association canadienne des distributeurs de films est l'antenne des studios hollywoodiens au Canada, dont elle est en quelque sorte le lobby au pays. Aussi, les résultats de ses «enquêtes» doivent être lus en toute connaissance de cause.

Les statistiques de l'Association canadienne des distributeurs de films donnent une certaine mesure du problème. Il existe des «pirates du film» à Montréal. J'ai eu l'occasion de voir leur travail (de très mauvaise qualité). On est dans l'illustration d'une problématique, pas dans les ordres de grandeur, ni la comparaison statistique vérifiable (les chiffres de l'Association fluctuent d'ailleurs passablement au gré des saisons).

De là à croire qu'il se copie plus de films à Montréal qu'à Shanghai et qu'une poignée de vidéastes amateurs de Pointe-aux-Trembles menace la pérennité de l'industrie cinématographie hollywoodienne, il y a un pas que je ne suis pas prêt à franchir...

Non seulement nombre d'observateurs indépendants (universitaires, journalistes) soutiennent qu'il se fait sans doute plus de copies illégales de films dans les salles de cinéma des États-Unis qu'au Canada (malgré des mesures législatives plus rigides dans des États comme la Californie), mais la tendance lourde semble être le piratage de films... par des employés des studios hollywoodiens.

On ne s'étonnera pas que les majors américains préfèrent montrer le Canada du doigt plutôt que de faire leur propre examen de conscience. Blâmer le Canada est pratiquement un leitmotiv à Hollywood depuis quelques années.

Quoi qu'il en soit, la plupart des spécialistes s'entendent pour dire que mettre un terme au piratage relève de l'utopie. Penser que le projet de loi du gouvernement Harper permettra de freiner efficacement la copie illégale de films au Canada est extrêmement naïf. En revanche, réussir à dicter une loi à un gouvernement étranger, en le bombardant de statistiques, l'est beaucoup moins.