Il y a sept ans, Denys Arcand clôturait le Festival de Cannes avec Stardom . On était loin de la fébrilité entourant Les invasions barbares en 2003. Le deuxième film en anglais d'Arcand, bancal à souhait, avait fait chou blanc. Chahuté et sifflé en projection de presse, il n'avait guère eu d'écho dans les médias, contrairement à la plupart des autres films de la sélection officielle.

Le lendemain, nous n'étions qu'une poignée de journalistes - pour la plupart canadiens - présents au Palais des festivals afin de rencontrer le cinéaste et certains de ses acteurs (dont Robert Lepage) en conférence de presse.

Projeté le dernier jour du festival, alors que de nombreux festivaliers (journalistes et professionnels) avaient déjà quitté la Croisette, Stardom avait été éclipsé par une version inachevée du sublime In the Mood for Love de l'éternel retardataire Wong Kar-waï. Présenté hors compétition, le film d'Arcand ne figurait évidemment pas au palmarès.

Sept ans plus tard, aurons-nous droit au même scénario? Denys Arcand fera de nouveau la clôture, hors compétition, avec L'âge des ténèbres. Wong Kar-waï, dont le premier film en anglais, My Blueberry Nights, ouvrira la compétition, ne pourra quant à lui prétexter un retard à l'instar de l'entourage d'Arcand cette semaine.

C'est une pratique courante à Cannes (et dans plusieurs festivals) de présenter aux sélectionneurs des films qui ne sont pas terminés. En 2004, Wong Kar-waï (encore lui) n'avait pu livrer une copie finale de son film 2046 même à temps pour sa projection officielle. L'âge des ténèbres, selon nos sources, a bel et bien été soumis au comité de sélection du Festival de Cannes. Mais il n'a pas été retenu en compétition officielle.

Selon toute vraisemblance, apprenant en début de semaine que le film n'était pas sélectionné, son distributeur Alliance Atlantis Vivafilm a décidé de modifier en catastrophe sa stratégie de mise en marché. Il a repoussé la date de sortie de L'âge des ténèbres aux calendes grecques (le 7 décembre) et stoppé une machine promotionnelle déjà bien en marche. Il ne fait aucun doute que le distributeur comptait sur la compétition cannoise pour lancer la carrière du film au Québec (sa sortie en France est toujours prévue pour le 26 septembre).

Pour sauver la face, distributeur et producteur ont laissé entendre que le film était loin d'être achevé et qu'en conséquence, il ne serait pas prêt pour Cannes. Le «retard», il faut le savoir, fait office d'excuse archétypale lorsqu'un film n'est pas sélectionné par un festival.

Dans un revirement digne d'un feel-good movie, mercredi, à 20h30 (2h30, heure de Paris), à quelques heures seulement du dévoilement de sa programmation, le Festival de Cannes proposait à Denys Arcand la clôture de sa 60e présentation. Il semble que les tractations de dernière minute du coproducteur français (et ancien agent d'artistes) Dominique Besnehard ainsi que du distributeur français Studio Canal aient joué en sa faveur. Le matin même, Le Film français, magazine spécialisé qui a ses entrées à Cannes, affirmait que le film de clôture du festival serait plutôt Zodiac, de David Fincher.

Au final, Zodiac se retrouve en compétition et L'âge des ténèbre se trouve une place au soleil. Denys Arcand - qui semble sincèrement au-dessus de tout ça - est passé à un cheveu de ne pas être accueilli sur la Croisette le mois prochain. Ce n'est pas pour rien que le film n'apparaissait nulle part dans les documents remis jeudi aux journalistes lors du dévoilement de la programmation à Paris.

Que faut-il en conclure? D'abord que tout est bien qui finit bien, puisque L'âge des ténèbres pourra profiter d'une vitrine d'exception. Ensuite, que la campagne de damage control de Vivafilm et du clan Arcand a été bien mal menée cette semaine. Les journalistes n'aiment pas particulièrement être pris pour des valises. Le petit vent de panique qui a accompagné la réaction à la non-sélection, puis la sélection du film à Cannes (ainsi qu'un semblant de bras de fer entre distributeur et producteur) n'a rassuré personne.

Une sélection hors concours, en clôture même du plus prestigieux des festivals de films, n'a rien d'un gage de succès. Au cours des dernières années, les Transylvania de Tony Gatlif, Ladies and Gentlemen de Claude Lelouch, De-Lovely d'Irwin Winkler, Chromophobia de Martha Fiennes, Stardom de Denys Arcand, An Ideal Husband d'Oliver Parker, Absolute Power de Clint Eastwood, Flirting With Disaster de David O. Russell, The Quick and the Dead de Sam Raimi et autres Godzilla de Roland Emmerich, n'ont pas exactement marqué le septième art.

L'honneur de clôturer Cannes est même perçu par certains comme un cadeau de Grec. Selon la tradition, l'équipe du film de clôture assume les frais de la dernière réception du festival. Sur la Croisette, à l'occasion du 60e anniversaire du Festival, il s'agira d'une facture salée (de plusieurs centaines de milliers de dollars). C'est cher payé en sachant que plusieurs festivaliers auront quitté la grand-messe avant la projection de L'âge des ténèbres.

Quoi qu'il en soit, si cette sélection hors concours est un pis-aller, il s'agit d'un très beau pis-aller. Denys Arcand, qui fait partie de la «famille» cannoise comme de la crème du cinéma mondial, aura d'autres occasions de mettre la main sur une Palme d'or qu'il mérite, du reste, pour l'ensemble de son oeuvre. D'ici là, on lui souhaite de profiter pleinement de cette sélection cannoise.