Je vous parlais la semaine dernière des manoeuvres douteuses des studios et distributeurs pour racoler le public dans les salles de cinéma. Et en particulier des citations de critiques utilisées hors contexte dans les campagnes publicitaires.

Les histoires d'horreur sont innombrables. Mon collègue Marc-André Lussier a déjà écrit, à propos d'un film de Mathias Ledoux (En face), qu'«il y aurait certainement eu un bon thriller à tirer d'un scénario qui joue sur la notion de voyeurisme». Ce qui n'était manifestement pas le cas du film de Ledoux, selon lui. Ne s'encombrant d'aucun scrupule, TVA Films a retenu les trois mots qui faisaient son affaire pour la publicité : «Un bon thriller»...

Parfois, le leurre n'est pas un mot. C'est devenu pratique courante d'utiliser à tort et à travers dans la pub l'emblème du Festival de Cannes, la palme, pour laisser entendre qu'un film a reçu une récompense prestigieuse dans un grand festival de cinéma. Le plus souvent, ledit film était en lice pour un prix technique au Festival de film de Ouidah ou sélectionné dans une obscure catégorie du Festival des films du monde, où il n'a remporté aucun prix.

La palme dorée, récompense ultime du cinéma mondial, est devenue à force de récupération publicitaire le symbole générique de tous les festivals, du moindre rassemblement d'adolescents boutonneux dans une salle paroissiale à la compétition officielle du plus important festival de films de la planète. Nuance que les distributeurs, les studios comme les dirigeants de festivals (autres que Cannes) préfèrent ne pas faire.

Les distributeurs et studios n'ont évidemment pas l'apanage des méthodes publicitaires malhonnêtes. Certains journalistes ont aussi leur part de blâme. Vous ne connaissez pas leurs noms pour la plupart. Ce sont les John Smith de la station WKRP à Cincinnati et autres Joe Legros du webzine Slasherfilms.com, dont vous voyez parfois apparaître la signature au bas d'une bande-annonce ou d'une publicité de film nullissime. Ce sont eux qui ont trouvé que The Cave était «le film le plus terrifiant depuis The Exorcist» ou que Scary Movie 4 était «l'un des 10 meilleurs films de 2006». Une fois sur deux, on retrouve leur nom associé à la phrase «À ne pas manquer!»

Ces journalistes peu scrupuleux discréditent autant, sinon plus que quiconque, l'utilisation de citations dans les campagnes publicitaires de films. Ils ont voix au chapitre comme tous les critiques, même s'ils font rarement preuve d'esprit critique. À force d'enthousiasme pour des navets, ils finissent par jouir d'une certaine forme de notoriété (Earl Dittman, de l'obscur magazine Wireless Magazine, est une star en son genre). Dans la profession, on leur a donné plusieurs surnoms, de «blurbmeisters» (adeptes du clip) au très peu flatteur « junket whores» (putes de junkets).

Les «junket whores» constituent la frange peu présentable des «junketeers», les habitués des «press junkets» (ces événements de presse organisés par les studios américains dans des hôtels de luxe de Los Angeles ou de New York - auxquels la plupart des médias participent dont La Presse, afin d'avoir accès aux stars de Hollywood).

Il s'agit de pique-assiettes, qui vivent moins de leur plume que des largesses des studios. Les «junket whores» quémandent inlassablement, de junket en junket, l'autographe de vedettes, même de série B, après avoir posé quelques questions insignifiantes qui font rager leurs confrères («Fais-tu du yoga pour être belle de même?» «C'était comment, embrasser Jude Law?»).

En échange d'un train de vie artificiel de jet-setters (suite avec vue, bar ouvert, resto trois étoiles, toutes dépenses payées, trois ou quatre jours semaine) et de deux rencontres annuelles avec Brad Pitt ou Angelina Jolie, les plus putes des «junket whores» offrent gracieusement aux studios des extraits de leurs critiques avant même qu'elles ne soient publiées.

C'est ainsi qu'on retrouve parfois, dans une même publication, la critique d'un film suivie (ou précédée!) de quelques pages d'une publicité qui cite ladite critique. Une schizophrénie rédactionnelle qui défie toute règle d'éthique journalistique et qui, malheureusement, ne se limite pas États-Unis. Ici aussi, on a vu des pubs citant des critiques de films publiées le jour même. Certains, du reste, ne publient jamais de critiques et se contentent d'offrir aux publicitaires une citation qui n'a pas d'autre contexte.

Pourquoi les «junket whores» s'offrent-ils si docilement aux publicitaires? Peut-être parce que la seule mention de leur nom dans une publicité nationale, qui a plus de rayonnement que leur station de radio ou journal local, leur donne l'illusion de faire partie du gratin hollywoodien? Ou qu'ils espèrent être enfin reconnus par les vedettes qu'ils interviewent à la chaîne dans des chambres d'hôtels depuis 10 ans? La psychologie de ces enfants de pub est insondable.

Le Québec n'est pas à l'abri de ces pratiques non plus, tant notre industrie du film tend à s'américaniser. Le Montréalais Mosé Persico, sorte d'alter ego anglo d'Anne-Marie Losique à la télévision de CFCF-12, est un abonné du classement annuel des «junket whores», selon Criticwatch, groupe qui tient le compte sur Internet des critiques les plus souvent cités dans les publicités de films. Il y a de ces honneurs dont on se passerait.