Personne n'avait pu deviner l'ampleur du succès qu'obtiendrait 300. Personne. Ni les observateurs les plus aiguisés ni les gens de l'industrie, pas plus que les bonzes de la Warner Brothers.

Quelques jours avant la sortie du film de Zack Snyder, alors que la rumeur s'accentuait, les pronostics les plus optimistes laissaient croire que le péplum nouveau genre pouvait engendrer des recettes de l'ordre d'environ 30 millions US le premier week-end. Cette prévision semblait même complètement irréaliste aux yeux de certains.

Or, les guerriers en bobettes de cuir n'ont pas fait de quartiers. Leur conquête fut totale et souveraine. 70,9 millions US le premier week-end; 31,1 millions le second. Hier, les recettes engendrées par 300 en Amérique du Nord s'élevaient à 136 millions US jusqu'à maintenant. Et encore, plusieurs entrées ne seraient pas comptabilisées.

On chuchote en effet dans les coulisses que bien des kids américains, qui n'ont pas l'âge pour voir un film coté «R» (pas d'enfants de moins de 17 ans à mois d'être accompagné d'un adulte) *, utilisent des subterfuges pour se faufiler dans les salles où est projeté 300.

Comment expliquer pareil phénomène?

On peut bien évidemment avancer de savantes théories, expliquer que 300 révèle des pulsions primaires enfouies dans notre psyché collective, il reste que le succès d'un long métrage se résume à une seule chose : l'envie qu'éprouve un individu de le voir.

Certains films ont beau être encensés par la critique, bénéficier d'une campagne de publicité à l'avenant, ou nourrir les discussions dans les médias, personne ne peut forcer un spectateur à se rendre au cinéma pour aller voir un truc dont il n'a pas envie. C'est aussi simple que cela. Si l'affiche ne lui parle pas, si les extraits qu'on lui montre à la télé sont ennuyeux (qu'ils soient ou non «représentatifs»), si l'histoire ne lui dit rien, le film sera un bide. Un succès ne se crée pas de façon artificielle.

À cet égard, 300 a bien su jouer ses cartes. D'abord en flattant dans le sens du poil le premier public visé : les amateurs de bandes dessinées qui clavardent frénétiquement sur les forums de discussions. Le réalisateur Zack Snyder et l'auteur Frank Miller ont d'ailleurs commencé leur campagne de séduction l'an dernier en présentant les premiers extraits à l'événement Comic-Con International de San Diego, ou, si vous préférez, le Festival de Cannes pour les geeks. La campagne s'est ensuite enflammée sur Internet, mais contrairement à ce qui est arrivé avec Snakes on a Plane, le phénomène s'est transporté dans les salles cette fois.

Bien que la critique ait été mitigée, 300 est parvenu à élargir son public. Une collègue a même écrit sur son blogue qu'à la vue de ce film, «l'homme gai en elle avait salivé comme c'est pas permis!» Autrement dit, le ton, l'aspect visuel, la violence annoncée ont fait de 300 l'un de ces films «cool» qui se transforment en événement incontournable.

Avec le succès vient bien entendu aussi la controverse. Un archéologue canadien d'origine iranienne, Hamed Vahdati Nasab, a même lancé une pétition sur Internet dénonçant la vision historique «frauduleuse et distordue» présentée dans le film. Il en a notamment contre le fait que les soldats perses sont dépeints comme de «monstrueux sauvages».

Il allègue du même souffle rien de moins qu'une violation du droit international. Sa missive, adressée à Warner Brothers et au cinéaste Zack Snyder, aurait jusqu'ici recueilli pas moins de 50 000 signatures. Même le gouvernement iranien y est allé de son commentaire en dénonçant de son côté la «guerre psychologique que mènent les États-Unis contre la culture iranienne».

Curieusement, personne n'avait soulevé la question au moment de la publication de la bande dessinée romanesque de Frank Miller, dont le film est pourtant l'adaptation fidèle. En fait, il ne faudrait pas donner à 300 une dimension historique qu'il n'a pas. Miller s'est en effet inspiré librement - très librement - d'un fait historique pour imaginer une histoire de bédé où les traits sont évidemment grossièrement dessinés et ce, dans tous les sens.

Zack Snyder expliquait en outre, dans une interview publiée dans le Entertainment Weekly la semaine dernière, que les hommes de sa génération, ceux qui étaient ti-culs à l'époque de Star Wars, n'avaient, en fait, jamais vraiment grandi. Un film comme 300 leur parle car il les remet en contact avec l'ado de 15 ans dont ils sentent toujours la présence en eux. Et ça, il paraît que c'est ben cool

____________________________________________________
* Au Québec, le film est coté 13 ans et plus.