Il y a cinq ans, Bertrand Tavernier est venu à Montréal afin de soutenir la sortie de son film Laissez-passer en nos terres. Véritable encyclopédie vivante du cinéma, le cinéaste français s'était empressé, comme il le fait dans tous les pays qu'il visite, d'aller fouiner dans les magasins pour enrichir sa collection de DVD. Au cours de l'interview qu'il m'a accordée, il fut beaucoup question de préservation du patrimoine cinématographique.

Le célèbre réalisateur s'était alors indigné du fait que la plupart des grands classiques du cinéma québécois brillaient par leur absence sur les rayons. «Et Les bons débarras de Francis Mankiewicz? avait-il demandé. Comment se fait-il qu'un tel chef-d'oeuvre ne soit même pas encore disponible en DVD?» Plusieurs cinéphiles québécois se sont maintes fois posé la question. Cinq ans plus tard, voilà que le souhait de Tavernier se réalise enfin. Pas tout à fait comme prévu, hélas...

Comme beaucoup d'admirateurs, qui attendaient ce moment depuis trop longtemps, j'ai sauté de joie lorsque j'ai su que Les bons débarras, le plus beau film de l'histoire du cinéma québécois à mon avis, allait enfin être mis en valeur dans ma «DVDthèque». J'étais tellement heureux de replonger dans l'univers poétique de Réjean Ducharme que j'ai glissé le disque dans le lecteur sans trop réfléchir.

À tel point que j'ai fini par passer outre le fait que, malgré le nettoyage des imperfections et des scories, l'image accusait très sérieusement son âge. Je n'ai pas voulu accorder non plus trop d'importance au format approximatif, lequel nous donne à voir ici pratiquement du plein écran. Et je ne mentionne même pas l'absence totale de suppléments. Bref, j'étais si content de revoir le film que je me suis dit qu'il n'y avait probablement rien à faire mieux dans les circonstances. Erreur.

On aurait pu faire mieux. Beaucoup mieux.

Le DVD des Bons débarras, qui a récemment été mis en marché par la société Filmoption international, résulte d'un travail bâclé qui n'a strictement rien à voir avec un vrai travail de restauration et de numérisation.

Les convives d'une soirée-bénéfice qu'a tenue la Cinémathèque québécoise l'an dernier en savent quelque chose. On leur a en effet remis, pour l'occasion, des DVD du film de Mankiewicz de très grande qualité, tirés à 800 copies. Michel Brault, qui a signé les très belles images des Bons débarras, a supervisé le travail de numérisation, effectué à partir d'un internégatif et d'un mixage final 35 mm conservés à la Cinémathèque.

Or, les négociations sur les coûts de la nouvelle bande maîtresse auraient achoppé entre la Cinémathèque québécoise et Filmoption international. J'emploie ici le conditionnel car Filmoption n'a jamais répondu à mes appels. Le distributeur aurait ainsi décidé de procéder quand même à la production d'un DVD, sans l'apport de la Cinémathèque cette fois, à partir d'un plus vieux matériel.

Dire que le résultat est décevant est un euphémisme. Pour les cinéphiles d'abord, de même que pour les artisans qui ont mis tous les efforts pour rendre justice à ce chef-d'oeuvre du cinéma québécois.

Cette problématique illustre à mon sens assez bien le peu de considération qu'on porte parfois aux créateurs dans ce pays. Il est toujours triste de constater à quel point l'intégrité de leurs oeuvres est souvent mise en péril, même pour les plus célèbres d'entre eux.

Doit-on rappeler que le DVD de Jésus de Montréal - le meilleur film de Denys Arcand selon moi - n'est disponible au Québec que dans une version parfaitement honteuse? Il est d'ailleurs assez choquant de voir le DVD du même film rayonner sur les tablettes des grandes chaînes en France (un pays où les artistes sont mieux respectés) dans une version beaucoup plus honorable, avec, en supplément, une interview du cinéaste (lecteur multi zones requis).

La bonne nouvelle dans le dossier du DVD des Bons débarras, c'est que Michel Brault est de nouveau associé au dossier. Des négociations seraient même présentement en cours afin de trouver un terrain d'entente qui permettrait la diffusion éventuelle de copies de bonne qualité. Si j'ai un conseil à vous donner, gardez vos sous pour le jour où un DVD à la hauteur du film sera disponible. Et tenez-vous loin de la version indigne qui a récemment été commercialisée.

Dans un autre ordre d'idées, je me rends la semaine prochaine au Festival de Cannes - un endroit où la qualité des projections est toujours irréprochable - et je prendrai ensuite quelques jours de congé pour m'en remettre. Le prochain billet sera publié le 16 juin. À jeudi sur la Croisette!