Permettez-moi d'être un peu nostalgique. Rassurez-vous, je ne le serai pas longtemps. Juste deux petites minutes. O.K., peut-être cinq. Les disparitions successives d'aussi grands noms du milieu du cinéma nous obligent forcément à jeter un oeil du côté du chemin parcouru.

Ingmar Bergman, Michelangelo Antonioni, Michel Serrault, Léo Bonneville, Hans Peter Strobl, Luc Perreault. À leur façon, tous ces êtres d'exception ont été les témoins privilégiés d'une époque où le septième art était au coeur de la vie des gens, bien implanté dans le foisonnement idéologique et social qui a marqué la seconde moitié du XXe siècle.

Je ne fais pas partie de ceux qui pensent que le «vrai» cinéma est mort. Je suis au contraire convaincu qu'il y aura toujours des créateurs inspirés qui tiendront à partager leur vision du monde sur grand écran. Certains d'entre eux offriront même parfois des chefs-d'oeuvre.

Par contre, la façon dont nous «consommons» désormais les films n'est plus du tout la même. L'arrivée des complexes multisalles a en effet complètement changé la donne. Jamais, d'ailleurs, ne m'en étais-je autant rendu compte que la semaine dernière.

En congé, je me trouvais au centre-ville avec quelques heures à perdre. Je suis entré au Paramount, histoire de rattraper un truc que j'aurais peut-être loupé. Oui, je sais, il s'agit maintenant du cinéma «Banque Scotia» mais, que voulez-vous, je suis juste «pas capable». Je songe d'ailleurs à militer pour qu'on appelle ce bunker le Simpson, ce serait moins mélangeant (et cela n'a rien à voir avec la famille d'Homer; les plus vieux comprendront).

Or, j'avais déjà vu tous les films à l'affiche. Il n'y a pas si longtemps, j'aurais tout simplement alors traversé la rue pour me rendre au Loew's, au Palace, au Faubourg Sainte-Catherine (un peu plus à l'ouest), ou encore au Centre Eaton ou au Parisien (un peu plus à l'est).

Si on recule encore un peu plus loin dans le temps, j'aurais même aussi pu bifurquer du côté de la Place Ville-Marie, de la Place Bonaventure, de la place du Canada, ou du York (duquel je garde le souvenir impérissable d'une projection de Pink Floyd - The Wall).

Mais non. Désormais point de salut au centre-ville à part l'AMC Forum à l'ouest; le Quartier latin à l'est; et le «Paramount» entre les deux. Le Cinéma du Parc et l'Ex-Centris, un peu plus au nord, veillent quant à eux toujours avec soin à la bonne destinée du cinéma d'auteur. C'est fou, non?

Contrairement à la plupart des grandes villes que j'ai l'occasion de fréquenter sur une base plus ou moins régulière, Montréal a complètement fait table rase de son parc de salles. Interdit de nostalgie, le cinéphile. Ne serait-ce que pour cette atmosphère particulière qu'on retrouve dans les endroits chargés d'histoire, il vaudrait la peine de s'offrir au moins une séance à l'Impérial pendant le Festival des films du monde...

Parlant du FFM, êtes-vous passé devant ce qui reste du Parisien récemment? Ça fait carrément mal au coeur. La vision est d'autant plus cruelle qu'en fouillant dans les archives photographiques consacrées à Luc Perreault, nous sommes tombés sur un cliché capté au Parisien en 1985 pendant le Festival. On y voit notre regretté collègue assis par terre au beau milieu d'une allée, la salle débordant de spectateurs pour une séance d'On ne meurt que deux fois de Jacques Deray.

Difficile à croire aujourd'hui, mais le FFM a déjà fait face dans les années 80 à un très grave problème: une trop grande fréquentation! Cela dit, même si le FFM ne pourra probablement jamais retrouver l'envergure qu'il avait à cette époque, force est de constater que la programmation du 31e festival, qui s'amorce jeudi prochain, a quand même un peu plus de gueule qu'au cours des dernières années.

D'ailleurs, les coréalisateurs de Bluff, le film d'ouverture, ont sans le savoir vite mis du baume sur mon sentiment nostalgique quand je les ai rencontrés cette semaine en prévision d'une interview que nous publierons demain.

Marc-André Lavoie et Simon Olivier Fecteau ont une foi indéfectible dans la pratique de leur art. Leur approche témoigne aussi d'une fraîcheur tout à fait bienvenue. Incrédules face à tout ce qui leur arrive (en plus de faire l'ouverture du FFM, leur petit film indépendant sera distribué dans un circuit d'une cinquantaine de salles), ils voyaient déjà leur sélection dans la programmation du Cinéma Beaubien comme un triomphe.

«Notre but ultime était d'aboutir là, m'ont-ils raconté. Nous sommes passés devant le cinéma et nous avons vu que l'affiche du film était déjà en place. Cela nous a fait tellement chaud au coeur! On ne connaît pas Mario Fortin, le directeur du Beaubien, mais on peut dire qu'on l'aime!»

Ne trouvez-vous pas rassurant ce bel enthousiasme? Moi, si.

Je vous rappelle, en terminant, que le public est convié à l'hommage qui sera rendu à notre distingué collègue Luc Perreault, aujourd'hui à midi au Cinéma du Parc (3575, avenue du Parc).