Roger Frappier est fâché. Le budget du prochain long métrage qu'il produit, Dédé, à travers les brumes, du réalisateur Jean-Philippe Duval (sur le chanteur des Colocs, Dédé Fortin), a dû être amputé de 1 million de dollars. C'est la faute de l'Association des producteurs de films et de télévision du Québec (APFTQ), dit Frappier, qui se confiait mardi à mon collègue Alain de Repentigny.

Pourquoi Roger Frappier se désolidarise-t-il ainsi de ses confrères producteurs? Parce qu'il y a un an, l'APFTQ a recommandé à Téléfilm Canada de limiter à 3,5 millions la somme des subventions versées en une année à une maison de production de longs métrages en français. «Une horreur», estime Roger Frappier, qui se sent brimé dans ses droits par l'association professionnelle qui le représente.

L'injustice est d'autant plus grande, souligne Frappier, que les producteurs de longs métrages en anglais ne sont pas soumis à un tel plafond. Un producteur de film canadien anglais peut obtenir 5, 6, voire 7 millions par année pour mener à bien ses projets alors que le producteur, tout aussi canadien, d'un film en français est limité à 3,5 millions.

Cette situation de deux poids, deux mesures est absurde. Roger Frappier a raison de la dénoncer. Le règlement de Téléfilm Canada, qui ouvre la voie à une discrimination fondée sur la langue, résisterait mal à un examen de la Charte canadienne des droits et libertés. D'un point de vue juridique, mais aussi d'un strict point de vue d'affaires, ce règlement ne tient pas la route.

Roger Frappier a raison sur le fond. Mais il n'a pas raison sur la forme. Ce ne sont pas ses confrères de l'APFTQ qu'il devrait blâmer, ni même les dirigeants de Téléfilm Canada, mais bien le gouvernement de Stephen Harper, qui ne fait strictement rien pour soutenir l'industrie cinématographique québécoise.

Il est évidemment question ici d'argent public. Il est important de le souligner. Il s'agit du facteur qui permet à mon avis de légitimer la démarche de l'APFTQ. Car l'Association des producteurs a réagi l'an dernier à une situation tout aussi absurde que celle que dénonce Roger Frappier. Alors que l'industrie du cinéma québécois est en pleine croissance, l'apport du gouvernement fédéral à son essor stagne depuis des années. Il y a dans les faits de moins en moins d'argent, en dollars constants, pour satisfaire à la demande de plus en plus de projets de films.

Il y a un an donc, voyant que la situation ne s'améliorerait pas de sitôt sous un gouvernement conservateur apathique, l'APFTQ a recommandé à Téléfilm Canada de revoir ses règles d'attribution de subventions. Parce que le système des enveloppes à la performance en vigueur ne profitait qu'à quelques producteurs (dont Roger Frappier). Or, dans un système fondé par nécessité sur les subventions, celles-ci doivent être distribuées équitablement. Ce n'était certainement pas le cas sous l'ancien régime, qui favorisait les grands au détriment des petits.

Avant l'intervention de l'APFTQ auprès de Téléfilm, un seul producteur pouvait théoriquement obtenir le tiers de l'assiette des subventions disponibles annuellement pour le long métrage francophone: 3,5 millions grâce à l'enveloppe à la performance (basée sur les résultats au box-office) et autant grâce au volet dit sélectif (déterminé au mérite par Téléfilm Canada). Le tout sur un total d'environ 21 millions. Il ne restait plus beaucoup d'argent pour les autres producteurs afin de maintenir une masse critique de films variés (commerciaux, d'auteurs) assurant la pérennité de notre cinéma national.

La recommandation de l'APFTQ à Téléfilm Canada a été faite de manière temporaire, comme un pis-aller, afin de garantir une certaine pluralité des voix dans le cinéma québécois. Tous les producteurs, à l'instar Roger Frappier, s'entendent pour dire que la situation n'est pas idéale et qu'elle ne peut perdurer. Dans les circonstances d'une crise de financement, il ne s'agit pas de «l'horreur» que dénonce Roger Frappier, mais bien d'une action concertée, adoptée en connaissance de cause.

Il reste que le système de financement du long métrage canadien, fondé sur une «approche asymétrique» (le tiers des subventions aux francophones, le reste aux anglophones), est à revoir. L'industrie du cinéma québécois est beaucoup plus dynamique que celle du Canada anglais.

Ce n'est pas normal que le taux de refus de Téléfilm soit plus grand au Québec. Notre industrie est victime de son succès. Michel Pradier, directeur du bureau du Québec de Téléfilm Canada, en convenait hier en entrevue: les ressources financières disponibles ne sont pas à la hauteur des besoins du cinéma québécois.

Si les règles proposées par l'APFTQ sont aussi contraignantes, c'est qu'il y a un manque criant d'argent. Et que rien ne laisse présager des changements à court terme. Le gouvernement Harper ne donne pas les moyens à l'industrie de soutenir sa croissance. Il s'applique plutôt à saboter bêtement - en provoquant des querelles qui n'ont pas lieu d'être - les énormes progrès faits depuis cinq ans. C'est absurde. On s'entend pourtant dans le milieu pour dire qu'avec 10 millions de dollars supplémentaires, il ne serait plus nécessaire d'imposer de plafond aux producteurs francophones, que l'industrie québécoise pourrait reprendre son envol et permettre de plus en plus de retombées, notamment fiscales.

Alors qu'au plus fort de la crise du financement, l'an dernier, le gouvernement Charest avait réagi avec une aide de 10 millions, même le départ de la taciturne ministre du Patrimoine Bev Oda n'a rien fait pour rassurer l'industrie du cinéma.

La culture est clairement pour le gouvernement conservateur un mal nécessaire. Et ce n'est pas avec la nouvelle ministre Josée Verner, aussi responsable des langues officielles (bonjour l'ironie), que les choses vont changer. À moins que cette autre fidèle secrétaire québécoise de Stephen Harper ne se décide à agir concrètement pour défendre notre culture. Permettez qu'on en doute.