C'était l'autre matin, chez Mme Charette. L'ami Cassivi et moi-même avions été invités à participer à une émission consacrée au Festival du nouveau cinéma.

Comme Charlotte Laurier figurait au nombre des invités, je me suis, en compagnie de mon éminent collègue, une fois de plus extasié - peut-être même un peu répandu - sur Les bons débarras. Dans mon palmarès personnel, le chef-d'oeuvre de Francis Mankiewicz figure en effet toujours au sommet de la liste des meilleurs films jamais produits au Québec.

Mais Les bons débarras, c'était il y a 27 ans. Autant dire une autre vie, une autre éternité. Après nous avoir vus, Monsieur Cass et moi, nous vautrer dans nos souvenirs émus, Charlotte a livré un vibrant plaidoyer en tenant à ramener les choses bien au présent. Parce que l'artiste qu'elle est aujourd'hui a évolué. La femme aussi. Tenir à l'âge de 11 ans un rôle aussi marquant que celui de la petite Manon dans un film mémorable comme Les bons débarras est d'évidence un cadeau extraordinaire. Mais cela revêt aussi un caractère violent.

Ce n'est d'ailleurs probablement pas un hasard si, après une dizaine d'années d'absence, Charlotte Laurier a choisi de revenir au cinéma en se plaçant à la fois devant et derrière la caméra. Les plus beaux yeux du monde est en effet un long métrage élaboré en famille dans lequel l'actrice, qui cosigne sa première réalisation avec son mari Pascal Courchesne, s'est donné le rôle d'une femme en quête d'identité. L'histoire qu'elle raconte dans son film, bien que fictive, est en outre riche en résonances de toutes natures. Et forte de tempêtes intérieures. Comme une réponse à ceux qui ont un peu trop tendance à figer les choses dans le temps. Bravo Charlotte.

Dans le cadre du FNC, j'ai aussi vu deux autres longs métrages réalisés par des actrices. Même si les approches diffèrent forcément d'une cinéaste à l'autre, il est notoire de constater que le passage à la réalisation constitue pour elles une prise de parole nécessaire. Comme une envie de pouvoir enfin exprimer une vision du monde à titre personnel.

Carole Laure par exemple, qui propose aujourd'hui son troisième long métrage (La capture), affine ses qualités de réalisatrice en creusant le même sillon: celui de la maltraitance et de l'enfance meurtrie. Au passage, on y sent un réel désir de cinéma, une franche envie d'en travailler la matière. Il y a même dans cette démarche quelque chose d'assez admirable.

Le passage à la réalisation de Sandrine Bonnaire est par ailleurs plus circonstanciel, mais il procède aussi de la même dynamique. En élaborant un documentaire sur sa soeur autiste (Elle s'appelle Sabine), l'actrice est aussi dans l'urgence de dire, de raconter, de dénoncer. Sans aucune complaisance, Sandrine trace le portrait de Sabine, et raconte la déchéance de cette dernière après ses années d'internement dans un hôpital psychiatrique.

Je ne donnerai ici qu'un exemple pour illustrer la qualité du regard de la cinéaste Bonnaire. Parmi les quelques patients qui habitent la même maison spécialisée que Sabine, il y a Olivier, un homme de 30 ans. Ce dernier est obligé de porter en tout temps un casque protecteur car des «absences» le font parfois tomber. Malgré son état, Olivier a un sourire d'ange accroché au visage en permanence.

Au fil d'une promenade, on le voit s'effondrer à quelques reprises, toujours délicatement «repêché» par un accompagnateur, bien placé pour amortir la chute. Au bout de la troisième ou quatrième «absence», étendu sur le sol, le beau sourire d'Olivier disparaît. On l'entend alors dire doucement et simplement: «J'en ai marre.» C'est alors à nous de nous effondrer. L'air de rien, Sandrine Bonnaire a su capter dans son film le caractère tragique de la condition humaine.

Charlotte Laurier avait 11 ans quand elle a été révélée dans Les bons débarras. Sandrine Bonnaire vivait son adolescence au moment où elle a fait ses débuts dans À nos amours de Maurice Pialat (après avoir répondu à une petite annonce!). Carole Laure était une jeune adulte quand Gille Carle l'a révélée au monde dans La mort d'un bûcheron. Trois parcours atypiques qui convergent maintenant vers un cinéma intimiste à travers lequel ces artistes peuvent aller au-delà de leurs personnalités d'actrices.

Elles sont passionnantes à suivre.