J'avais hâte de voir L'âge des ténèbres. Grâce au Festival du nouveau cinéma, c'est chose faite. Je ne surprendrai personne en disant, comme d'autres avant moi, que le nouveau film de Denys Arcand est raté. Sur presque toute la ligne, sans possibilité d'appel.

Si L'âge des ténèbres avait été un court métrage, j'en aurais volontiers pris les 15 dernières minutes, magnifiquement tournées et habitées par la présence de Marc Labrèche. Mais L'âge des ténèbres est un long métrage. Un long métrage bancal, décousu, confus, qui va dans tous les sens sans jamais en trouver un seul véritable.

Je ne dirais pas que c'est un «film de vieux con», comme l'a décrit avec mépris une journaliste des Inrocks. Mais L'âge des ténèbres est certainement un film de mononcle. Un film qui semble porter l'empreinte d'un cinéaste génial mais désabusé, repu de son oeuvre, posant un regard hyper caricatural, archi cynique, et par moments franchement condescendant sur la société québécoise.

Peut-être que je me trompe, mais L'âge des ténèbres m'a semblé illustrer la désillusion d'un grand nombre de personnes d'une génération aigrie, dont le lyrisme solidaire s'est évaporé peu à peu au profit du constat dit lucide de «l'échec du modèle québécois» (marque déposée). Une génération libérée du joug de l'Église, devenue farouchement anticléricale, d'abord portée par un rêve progressiste, puis amèrement déçue. Son pessimisme et son défaitisme la font aujourd'hui flirter avec l'ADQ.

Si L'âge de ténèbres était une ville, ce serait Hérouxville, avec plus d'esprit sans doute, mais le même humour sordide. La vision qu'offre Denys Arcand des relations hommes-femmes, des préoccupations des jeunes, de l'incommunicabilité au XXIe siècle et des ratés de la social-démocratie est parfois tellement appuyée qu'elle en est risible. On en pleurerait de rire si l'on était moins pétrifié de gêne par ces scènes burlesques, tellement grotesques qu'elles en sont presque géniales.

Tout ce qui clochait dans Les invasions barbares - les scènes du début avec les ex-maîtresses de Rémi (coupées au montage dans la version internationale) - se trouve magnifié dans L'âge des ténèbres. Ce n'est pas tant un problème de jeu (quoique certains acteurs...) ou de mise en scène (quoique certains effets...), qu'un problème de scénario. C'est pourtant ce qui fait d'ordinaire la force des films d'Arcand.

Certains dialogues sonnent tellement faux qu'on les croirait écrits par un débutant. Dans la bouche des profs d'université du Déclin de l'empire américain, Arcand pouvait se permettre certaines incartades philosophiques plus ou moins réalistes. Mais entendre Didier Lucien, un fonctionnaire blasé, élaborer une théorie vaseuse sur le besoin de l'homme, ce primate, d'éjaculer aux trois jours pour éviter le cancer de la prostate m'a laissé bouche bée. Plus mononcle que ça, tu meurs.

Si L'âge des ténèbres se contentait d'être une farce plate, je ne vous en ferais pas une chronique. Le film de Denys Arcand est malheureusement une farce plate avec force prétentions, un propos soutenu, un point de vue moral. Une farce plate qui fait réagir (dont acte). Si une lumière se dégage de cet Âge des ténèbres, c'est que pour Arcand, le Québec semble aujourd'hui se résumer à un nid-de-poule métaphorique illustré ici par un éléphant blanc. Un trou béant que l'État-providence, trop occupé à tenter de régler le problème des urgences surchargées (voir Les invasions barbares), n'a plus les moyens de colmater.

Dans ce film d'anticipation troublant d'incrédibilité, navrant d'ennui et de clichés, on ne peut fumer dans un rayon d'un kilomètre du Stade olympique, où ont été établis les bureaux de l'Office de la protection du citoyen. C'est là que travaille Jean-Marc Leblanc (Marc Labrèche), banlieusard archétypal fantasmant sur une vie rêvée où les anges ont un sexe (féminin). En pensée, il laisse libre cours à son mononcle intérieur, pour des scènes oniriques plus ridicules que lubriques (qui confirment au moins une chose: Caroline Néron n'est pas une actrice).

On excuserait le ratage si ce n'était du potentiel de l'oeuvre, du cinéaste et de son acteur principal. Denys Arcand a déjà connu l'état de grâce. Il l'atteint une fois en particulier dans ce film, lorsque Marc Labrèche, mal servi autrement par un scénario sans queue ni tête, pleure le personnage de sa mère. Sans effets, le moment est touchant de vérité, quoique beaucoup trop tardif dans le récit pour avoir un réel impact. On ne peut en dire autant de toutes ces scènes mémorables d'inutilité: la joute médiévale, le passage sur le plateau de Thierry Ardisson, les ébats furtifs avec une journaliste nymphomane.

Le cynisme boursouflé, exempt d'humour, que distille L'âge des ténèbres, a l'effet cinématographique d'un coït interrompu (pour emprunter au vocabulaire imagé du cinéaste). Le regard d'abdication de Denys Arcand sur le Québec - un peu suffisant, un peu «Après-moi le déluge» - manque trop de subtilité et de finesse, de goût et surtout de mordant, pour être efficace. Il laisse en prime un arrière-goût rébarbatif. Un arrière-goût de crème de menthe verte de mononcle.