Les habitués de cette chronique hebdomadaire le savent: je ne vois jamais de films doublés. À mon humble avis, le doublage est un procédé qui porte gravement atteinte à l'intégrité artistique d'une oeuvre cinématographique. Vivement les sous-titres. Cela étant dit, la réalité dans laquelle nous vivons fait en sorte que les versions doublées sont beaucoup plus prisées que les versions originales. On peut évidemment le déplorer, mais il en est ainsi.

Quelques-uns d'entre vous, généralement adeptes des films doublés, m'avez pourtant écrit pour me demander des explications sur un truc. En clair, votre question était la suivante: pourquoi diable les doublages français de films canadiens et québécois tournés en anglais sont-ils si poches? Pourquoi, alors que l'industrie québécoise du doublage se targue d'offrir des versions doublées de films américains de très grande qualité, constate-t-on une baisse dramatique de cette même qualité quand vient le moment de doubler des films dans «la langue de chez nous»?

Et vous me posez la question? À moi? Moi qui prends mes jambes à mon cou dès qu'une mention «v.f.» est inscrite sur une marquise? Vous êtes très drôles.

Je veux bien me répandre en savantes théories mais vous me permettrez auparavant de vous faire remarquer que même les intervenants à qui j'ai parlé cette semaine, dont quelques-uns sont directement impliqués dans le processus du doublage, ont du mal à répondre à votre question de façon précise.

Pour en avoir le coeur net, j'ai pris mon courage à deux mains. Je suis allé voir Comment survivre à sa mère, la version française de Surviving My Mother. Comme j'avais déjà vu - et bien apprécié - la comédie dramatique d'Émile Gaudreault au Festival des films du monde, je me disais que je serais alors à même de juger.

La bande-annonce de la version française est tellement horrible que je m'attendais honnêtement à un ratage sur toute la ligne sur le plan du doublage. À ma grande surprise, le résultat n'est pas aussi catastrophique que prévu. J'ai d'ailleurs appris qu'Émile Gaudreault avait supervisé lui-même la réalisation de ce doublage. Hélas! pas celle de la fameuse bande-annonce. Il est d'ailleurs dommage que le cinéaste n'ait pu superviser lui-même cette étape cruciale de la mise en marché de son film. Ce petit bout de pellicule, qui est censé attirer le spectateur (et non le faire fuir), n'est rien de moins qu'un turn off total. Je crois d'ailleurs que cette bande-annonce ratée explique en grande partie les résultats décevants du film au box-office.

Mais revenons à votre question. Il est certain que les artisans font face à des difficultés supplémentaires quand vient le moment de réaliser le doublage d'un film dont les personnages vivent au Québec. Non seulement doit-on alors conjuguer avec différents niveaux de langage (sans parler des accents), mais il faut aussi tenir compte de la notoriété des comédiens auprès du public québécois. Par exemple, il était impensable que les comédiens francophones de Surviving My Mother, Caroline Dhavernas, Louison Danis, Véronique Leflaguais notamment, ne se doublent pas eux-mêmes. Or, la perception que les gens ont de ces acteurs - et l'affection qu'ils leur portent - vient nuire à l'efficacité du doublage. Le spectateur doit en effet élever sa volonté d'un cran avant d'accepter le son d'une voix familière sortir de la bouche d'une personne toute autant familière, dont les mouvements des lèvres ne correspondent pourtant plus aux mots prononcés. Vous me suivez? Il est d'ailleurs notoire de constater, dans le cas du film de Gaudreault, que le doublage des acteurs anglos semble moins problématique que celui des comédiens québécois.

Certains répondront alors que le cinéaste aurait pu éviter le problème en faisant appel à des acteurs anglophones inconnus au Québec. Or, les interprètes pouvant à la fois harmoniser leur jeu au style de la comédie, tout en étant capables d'aller visiter des zones plus dramatiques, ne courent pas les rues. «Nous avons choisi les meilleurs et il s'adonne que plusieurs d'entre eux sont francophones», déclarait en outre Émile Gaudreault lors de la présentation du film au FFM. D'autres diront que ce dernier aurait tout simplement dû tourner son film en français. Peut-être. Financé grâce à une enveloppe à la performance reçue à la suite du succès de Mambo Italiano, le film se devait toutefois d'être tourné dans la langue de Shakespeare. C'était obligatoire.

Bref, on est loin d'une solution idéale. Il importe toutefois aux artisans de soigner tout particulièrement le doublage de leurs bandes-annonces. Il est en effet trop difficile ensuite de passer par-dessus une première impression aussi mauvaise. Même si le film est bon. Je crains d'ailleurs que Surviving My Mother ne soit présentement en train d'en payer chèrement le prix.