Denis Côté est libre. Libre au point de déranger. Lorsque l’ancien journaliste a écrit, il y a trois ans, une critique dévastatrice du film Nouvelle-France de Jean Beaudin, le distributeur Christian Larouche, prétextant qu’il n’avait pas respecté la date de publication convenue, l’a banni à vie de ses projections de presse. Bonjour la liberté de pensée. Six mois plus tard, Côté quittait son job de directeur des pages cinéma de l’hebdo Ici.

Denis Côté a tourné la page. Et ne s’ennuie pas le moindrement du journalisme. Il était du reste devenu critique par accident, en dilettante, parallèlement à une carrière de cinéaste amorcée il y a une dizaine d’années. Quinze courts métrages plus tard, Côté réalisait, scénarisait et produisait lui-même en 2005 un premier long métrage, Les états nordiques, célébré par la critique et remarqué dans plusieurs festivals internationaux (dont le Festival de Locarno, qui lui a décerné son Léopard d’or vidéo).

Hier, le deuxième long métrage de Denis Côté, Nos vies privées, prenait l’affiche au cinéma Parallèle du complexe Ex-Centris. Un film ingénieux, fait avec trois bouts de ficelle, qui passe du naturalisme à la série B en créant habilement, grâce aux procédés du cinéma, des moments de tensions (entre autres sexuels). Un film sans prétention, mais non sans défauts (sa deuxième partie est parfois déroutante), tourné dans le bois, au Québec... en bulgare.

Ce film, comme sa carrière de critique, est né accidentellement, me racontait cette semaine Denis Côté, 34 ans, dans un café de l’avenue du Parc. «C’était vraiment un concours de circonstances, dit-il. Je voulais écrire un scénario en Bulgarie, parce que j’ai toujours été attiré par les pays de l’Est. Puis j’ai pensé que je pourrais faire un film là-bas, en improvisant un peu. J’avais gagné une bourse de 10 000 $ en Corée (au Festival de Jeonju) que je voulais utiliser pour tourner. Mais sur place, je me suis rendu compte que c’était pratiquement impossible.»

De passage au Festival de Sofia avec Les états nordiques, Côté découvre, par l’entremise d’un metteur en scène, ses deux acteurs : Penko Gospodinov et Anastassia Liutova. En apprenant que cette dernière parle français, il décide de modifier son scénario afin de tourner son film au Québec. «Ça pourrait se passer au Vietnam, en Hongrie ou au Chili, dit-il. Ce que j’aime, c’est que le film ressemble à l’Internet. Les frontières sont abolies, comme dans les chatrooms. J’aime dire que c’est une mondialisation de l’intime.»

Le prétexte de Nos vies privées est justement une rencontre, sur l’Internet, entre deux Bulgares. Elle a 27 ans et vit depuis 10 ans au Québec. Il est dans la mi-trentaine et vient la rejoindre pour trois semaines, dans un chalet en forêt. Ils correspondent, en s’adonnant au cybersexe, depuis un moment, mais ne se sont jamais rencontrés en chair et en os. Le coup de coeur initial fera vite place à la lassitude de la vie de couple (post coïtum, animal triste), illustrée avec force métaphores...

Nos vie privées, oeuvre atypique qui a certainement sa place dans notre paysage cinématographique, n’a coûté que 20 000 $. Autant dire rien du tout. Faire venir les acteurs au Québec et les loger a coûté 5000 $. Le reste de l’entreprise, forcément artisanale, environ 15 000 $ (hors des règles habituelles de l’UDA et du cinéma dit conventionnel). «Le budget, c’est vraiment une fausse raison pour aimer un film!» fait remarquer Denis Côté, qui ne souhaite pas se voir accoler l’étiquette «du gars intransigeant qui ne fait que des films hors du système».

N’empêche. On a vu des oeuvres moins abouties qui ont coûté 100 fois plus cher (et même davantage). La preuve que la quantité a peu à voir avec la qualité. Denis Côté, heureux de son sort, trouve néanmoins que certains se plaignent le ventre plein alors que le cinéma québécois se tourne de plus en plus vers le box-office, en négligeant son impact sur la cinématographie mondiale.

«Bravo, les Québécois consomment leur cinéma, constate-t-il. Mais on produit énormément de films au Québec qui ne s’exportent pas. Le cinéma québécois ne voyage pas. Il n’est pas plus important à l’étranger que le film kazakh qu’on va voir dans un festival à Montréal et qui ne nous excite pas. Il n’y a pas de présence du cinéma québécois dans le monde.»
 
Lui qui a fait le tour des festivals pendant deux ans avec Les états nordiques, reste néanmoins optimiste, surtout en constatant la variété de films produits au Québec. «Il y a une certaine confiance, une volonté de soutenir une relève plus pointue, croit-il. Il y a une cohabitation. On cherche dans les institutions un équilibre entre les projets plus commerciaux et des films comme Continental (de Stéphane Lafleur).»

Le prochain film de Denis Côté, Elle veut le chaos, qui a été tourné en noir et blanc pour près de 1 million de dollars (une fortune selon ses propres critères), devrait être en salle l’automne prochain, après, espère-t-il, avoir intéressé quelques festivals. Sans préjuger du résultat, parions que ce sera un film libre, comme son auteur.