Je dois bien voir plus de 200 films par année. Sur le lot, il y en a au moins une vingtaine qui ne sont «pas pour moi». Je m'explique. N'étant pas un adepte de la «critique objective», celle qui se place, peu importe le sujet, au-dessus de la mêlée, j'affiche sans gêne mon point de vue subjectif sur un film. Or, il y a des oeuvres, pour ne pas dire des genres, pour lesquels je n'ai que peu d'intérêt.

J'ai résolu d'en faire le sujet de cette chronique mardi, égaré dans mes pensées en plein milieu de la projection de The Golden Compass, un film qui m'est passé à peu près 40 pieds au-dessus de la tête. Comment fait-on la critique d'un film qui ne nous interpelle pas? Vaste question, à laquelle je ne tenterai même pas de répondre. Aussi, je préfère laisser aux bons soins de Sonia Sarfati, experte en la matière, la critique du film de Chris Weitz (à lire en page 10), qui s'adresse aux enfants petits et grands, et qui est tiré d'un roman de Philip Pullman que je n'ai pas lu (ni ne lirai, pour ainsi dire jamais).

Pour être bien franc, lorsqu'un film met en scène des personnages qui volent, des enfants aventuriers, des sages à longue barbe et des animaux qui parlent, je décroche presque automatiquement. The Golden Compass compte tous ces éléments... et plus encore. Même sans gnomes, elfes et autres lutins, j'ai su très rapidement que cette fable fantastique, sur le sempiternel mode du Bien contre le Mal, ne s'adressait pas à moi.

Dans The Golden Compass, les méchants ont le monopole de la richesse et les bons, celui du courage. Les bons sont habillés en haillons et les méchants en aristocrates ou en prélats de l'Église au temps des croisades. C'est Star Wars première mouture sans l'humour, le Seigneur des Anneaux avec une boussole en lieu et place d'une bague en or. Ceux qui s'amusent le dimanche à se taper dessus au mont Royal avec des épées en styromousse y trouveront sans doute leur compte. Pas moi. Harry Potter, j'ai haï ça.

Évidemment, croyez-en ma collègue, The Golden Compass est bien réalisé, efficace, visuellement splendide. Il présente même en sous-texte une critique de l'Église et de sa chasse aux hérétiques. Rien, cependant, pour rendre mon expérience moins affligeante (surtout qu'on annonce une trilogie). Tout ça pour dire que, malgré ma passion du cinéma, je suis parfois un bien mauvais juge de ce qui est bon ou mauvais (d'aucuns diront «souvent» plutôt que «parfois»).

Dans le même esprit, j'ai vu lundi Atonement, de Joe Wright, que certains présentent déjà comme le premier prétendant sérieux à la prochaine remise des Oscars. Je vous réfère une fois de plus à la critique de mon collègue Marc-André Lussier (à lire en page 4), cinéphile crédible s'il en est, qui vante les mérites de cette fresque sentimentale campée dans l'Angleterre de l'entre- deux-guerres.

Si vous gardez un souvenir impérissable de The English Patient ou de Pride & Prejudice (du même Joe Wright), il y a de fortes chances pour que vous appréciiez aussi Atonement. Mais si, comme moi, le romantisme exacerbé de Titanic vous a exaspéré, prenez garde. Ce film d'époque à grand déploiement s'inscrit dans la lignée des coups de coeur classiques de l'Académie hollywoodienne.

Atonement est certes bien tourné, bien joué et appuyé (j'insiste, appuyé) par une musique des plus lyriques, c'est un film qui en fait trop à mon avis, et trop souvent. Joe Wright n'est pas un amateur du demi-ton ni de la demi-mesure. On le remarque dans sa mise en scène, souvent théâtrale, dans cet épique plan-séquence de champ de bataille, qui n'en finit plus de finir, et dans le choix de la trame sonore, omniprésente. Or trop, c'est comme pas assez. Surtout pour moi qui, il faut croire, ne suis pas le public-cible du grand film romantique. Sans-coeur va!

L'âge des réacs

Dans une certaine mesure, je le comprends mieux aujourd'hui, L'âge des ténèbres de Denys Arcand n'est pas non plus un film pour moi. J'ai pris la mesure du fossé qui me sépare de cette oeuvre, et de la philosophie qu'elle semble sous-tendre, en début de semaine, dans mon propre journal. Carl Bergeron, membre du comité de rédaction de la revue " de résistance conservatrice " Égards, y allait dimanche dans nos pages Forum d'un vibrant plaidoyer en faveur de ce qu'il appelle «L'âge de la vérité».

Nous avons vu le même film, qui a à mon avis pour principale qualité de provoquer des débats d'idées. Nous en avons fait exactement la même interprétation. Pour en arriver à des conclusions diamétralement opposées. Où j'ai vu une caricature cynique, boursouflée et condescendante de la société québécoise, M. Bergeron a vu le plus brillant film de la carrière de Denys Arcand.

«Le Québec "caricatural" qui est montré dans L'âge des ténèbres, ce n'est pas celui du voisin, c'est le vôtre, écrit-il: égalitarisme fanatique, féminisme totalitaire, misère sexuelle, puritanisme appuyé, ésotérisme managérial et festivisme programmatique forment en effet, pour l'essentiel, le substrat anthropologique de la vie nationale.»

Que certains s'approprient depuis quelques jours le propos de L'âge des ténèbres n'est pas étonnant. Mais que des réactionnaires y trouvent l'expression lumineuse de «la vérité» me semble plus troublant. Carl Bergeron, entre autres choses, regrette «qu'il ne sera bientôt plus permis par la loi d'émettre une critique dans la sphère publique (et, de plus en plus, dans la sphère privée) sur les desseins pervers de l'homosexualité militante». Aïe! On ne choisit pas ses admirateurs. Mais avec des amis comme ça...