Vous ai-je déjà parlé de mon amour déraisonné pour Catherine Deneuve? Oui, sans doute. Pendant des années, c'en était même un running gag. À l'époque où j'animais à la radio un magazine consacré au cinéma, je disais souvent que je ne lâcherais jamais le micro avant d'avoir reçu l'icône en entrevue. Grande ambition. Qui ne s'est évidemment pas concrétisée. Du moins, pas sous cette forme.

Car j'ai enfin eu l'occasion, quelques années plus tard grâce à La Presse, d'interviewer celle que François Truffaut appelait parfois affectueusement «Kathe de Neuve». C'était au Festival de Toronto, il y a déjà huit ans de cela. Deneuve avait fait le voyage pour accompagner la présentation d'Est-Ouest de Régis Wargnier. Une conférence de presse en compagnie des membres de l'équipe était prévue mais aucune entrevue individuelle ne devait figurer à son programme.

De Montréal, j'ai bien sûr beaucoup insisté auprès du distributeur - la rumeur de ma totale dévotion à l'actrice avait déjà fait le tour - afin qu'il essaie d'organiser un petit quelque chose, ne serait-ce que 10 minutes d'entretien. Allez, soyez gentils. Un rien me suffira.

À 22 h, le jour de l'arrivée de l'actrice dans la Ville reine, le téléphone sonne chez moi. Une relationniste m'annonce que Deneuve consent finalement à me recevoir tout de suite après la conférence de presse prévue le lendemain. Que j'aurai droit à 30 minutes avec elle. Et que c'est l'unique interview qu'elle accordera seule à seul à un journaliste. Elle réclame aussi la plus grande discrétion. Si cela devait se savoir, ça risquerait de faire tout un «chiar». Ciel!

Six heures du mat dans la bagnole, direction 401. Pendant les heures au cours desquelles je dévale des centaines kilomètres à travers la province «Yours to Discover», je n'en finis plus de répéter mes questions, d'imaginer tous les cas de figure. Je commence même à halluciner. Je vois maintenant des ambulanciers venir me ramasser à la petite cuillère pour me sortir ensuite sur un brancard. Parce que je vais honteusement m'évanouir devant elle, c'est sûr.

Voyez-vous, Deneuve, pour moi, c'est immense. L'ambassadrice du chic à la française est en effet directement liée à mes plus beaux souvenirs de cinéma. Pour un peu, je pourrais même vous chanter Les parapluies de Cherbourg dans son intégralité, c'est dire à quel point c'est grave! C'est terminé? Oui! Le moteur cliquette encore un peu à froid mais c'est normal...

Dieu merci, j'ai gardé à peu près tous mes sens pendant les quelques heures qu'a duré ma mission. Deneuve fut d'abord souveraine lors de la conférence de presse, maîtrisant le jeu de façon parfaite. Elle est même venue à la rescousse de ses partenaires moins habiles en anglais, dont certaines déclarations auraient pu prêter à controverse.

Au cours de l'interview qu'elle m'a accordée ensuite en donnant congé à son entourage, Deneuve fut exactement comme je l'aime: impériale, un peu distante, élégante, avec cette façon d'en révéler un peu plus au simple détour d'un regard ou d'un sourire discret. Au bout de 15 minutes, mademoiselle Deneuve a même enlevé ses verres fumés (Yesss!). L'échange fut professionnel mais pas chaleureux.

Avec elle, pas de fausse complicité ni de faux-semblants. Elle m'aurait envoyé paître que je ne lui en aurais même pas tenu rigueur de toute façon. C'est justement ce que j'admire chez elle: cette façon de jouer de son statut d'icône, de mener sa barque comme elle l'entend en faisant fi des qu'en-dira-t-on, en toute liberté.

Je me souviens en outre du sourire en coin qu'elle arborait quand elle a précisé à l'animateur Larry King, qui avait dit de façon erronée qu'elle avait déjà été mariée à Marcello Mastroianni, que ses deux enfants étaient nés hors du mariage. Les conventions? Très peu pour elle.

Pourquoi ressortir ces souvenirs à propos de Deneuve? Parce que je viens de lire Deneuve, L'affranchie *, la biographie non autorisée que vient de publier Bernard Violet, l'homme qui «biographe» les stars françaises plus vite que son ombre. Et qui, au cours des dernières années, a notamment déboulonné plusieurs mythes. Jean-Jacques Cousteau, Mylène Farmer, Alain Delon, Johnny Hallyday, Patrick Poivre d'Arvor et Gérard Depardieu ont aussi eu droit aux «attentions» de l'auteur.

N'ayant pu recueillir beaucoup d'informations nouvelles auprès des gens faisant partie de l'entourage de Catherine Deneuve, l'écrivain-reporter (c'est ainsi qu'il se désigne) s'est rabattu sur les milliers d'articles qu'il a épluchés, tentant ainsi de percer à travers eux le fameux mystère Deneuve. Très bien documenté, le bouquin mise surtout sur les «révélations-chocs» à propos du passé vaguement ambigu du père Dorléac au temps de la guerre (on s'en fout), et de la «frénésie financière» dont serait atteinte la vedette (ouan, pis après?).

Il décortique aussi les rapports familiaux, notamment avec sa soeur Françoise (La peau douce, Les demoiselles de Rochefort), une comédienne talentueuse, morte tragiquement dans un accident de voiture en 1967. Mais l'intérêt, à mon avis, est ailleurs. Il repose dans les détails d'un parcours qui, malgré quelques faux pas, se révèle être l'un des plus riches de l'histoire du cinéma.

La lecture de L'affranchie nous donne forcément envie de revoir les films de la grande Catherine. L'actrice peut ainsi être rassurée: il n'y a rien dans cet ouvrage pour ébranler son mythe. Encore moins en percer le mystère.

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* Deneuve, L'affranchie, 482 pages, Éditions Flammarion.