Il n'y a pas de cinéma plus en santé, à mon sens, que le cinéma américain. On peut reprocher bien des choses au cinéma hollywoodien ses recettes infantilisantes, son homogénéité, son manque d'audace il reste qu'il se développe aux États-Unis, dans les filiales des grands studios bien souvent, un cinéma de qualité, libéré du carcan des bons sentiments consensuels propres aux baudruches hollywoodiennes. 

Le cinéma «indépendant» américain l'est peut-être davantage dans l'esprit (celui de Sundance) et dans les moyens (modestes), que dans la définition stricto sensu du terme. Faire du cinéma coûte cher, qu'il soit ou pas indépendant (terme galvaudé, à bien y penser). 

Quoi qu'il en soit, bon an mal an, le cinéma américain nous offre un nombre appréciable de films inspirés, progressistes, voire subversifs, qui nous rassurent sur l'état de la nation étasunienne, sur la liberté d'expression au pays de George W. Bush et sur l'avenir du septième art. La preuve, tous ces nouveaux auteurs, enfants illégitimes de Woody Allen et de Martin Scorsese, découverts depuis quelques années: Neil LaBute, Wes Anderson, Spike Jonze, Paul Thomas Anderson, Richard Linklater, Sofia Coppola, Alexander Payne, pour n'en nommer que quelques uns. 

Je vous parlais récemment dans cette chronique des films «pas pour moi» (les aventures fantastiques du type The Golden Compass, par exemple) auxquels j'ai toujours eu de la difficulté à m'identifier. Je pourrais vous parler plus en détail encore des films «tout à fait pour moi». Ils relèvent, pour la plupart, des films sans prétention davantage que des oeuvres à grand déploiement. On y retrouve souvent un humour caustique, des préoccupations sociales, un univers qui m'est familier. 

Étant un Québécois en paix avec son américanité (que certains cherchent à nous décrire collectivement comme des quasi-Européens me fait rigoler), les films «tout à fait pour moi» sont généralement américains. Des exemples? Je pense spontanément à Happiness de Todd Solondz, l'un de mes films fétiches (j'ai rarement autant ri au cinéma à propos de choses aussi peu comiques). Je pense aussi, en ce temps des Fêtes, au décapant Bad Santa de Terry Zwigoff (diffusé dans une traduction française imbuvable cette semaine à TQS). Je pense enfin au délicieux Election d'Alexander Payne. Vous voyez le genre: de l'esprit fin dans un enrobage pas toujours aussi fin. Le raffinement n'étant pas toujours là où on le pense. 

Je vous en parle parce que la semaine dernière, je suis tombé sous le charme d'un nouveau film «tout à fait pour moi». Pas The Savages, de Tamara Jenkins, dont certains critiques disent le plus grand bien, mais qui m'a laissé plutôt indifférent (c'est magnifiquement joué par Laura Linney et Philip Seymour Hoffman, subtil et intelligent, mais sans ce supplément d'âme qui rend certains films incontournables). 

Je pense plutôt à Juno, qui prenait aussi l'affiche hier, en version originale. Le deuxième long métrage de Jason Reitman (fils du réalisateur et producteur Ivan Reitman), sans être un grand film, m'a complètement charmé. J'y ai trouvé la même irrévérence que dans le premier long métrage de ce jeune Montréalais d'origine, Thank You for Smoking, avec un scénario plus abouti et des personnages plus attachants. 

Juno ne sort pas spécialement des sentiers battus. Il s'agit d'une comédie somme toute banale, au scénario linéaire, qui ressemble au premier coup d'oeil à bien des films pour éternels adolescents. On n'y sert pas l'humour gras (mais ô combien efficace) de Knocked Up (ma comédie débile de l'année), même si on aborde le même thème (la grossesse non désirée). On y explore les préoccupations des élèves du secondaire, mais pas de manière aussi puérile que Superbad (une comédie débile moins réussie, scénarisée par la vedette de Knocked Up, Seth Rogen).
 
Juno m'a séduit de la même manière que Garden State (écrit par, réalisé par et mettant en vedette Zach Braff). Avec des mots d'esprit, un romantisme terre à terre, une vision décalée du monde dans lequel nous vivons et une bande sonore parfaitement adaptée au récit (ici avec Belle and Sebastian plutôt que The Shins). J'ai pensé aussi à Beautiful Girls (avec Nathalie Portman, aussi dans Garden State), un film de 1996 de Ted Demme. Pour le rythme indolent de la petite ville américaine et le commentaire social en filigrane. 

Pour tout dire, j'ai trouvé que Juno n'était pas seulement un petit film charmant et sympathique sur l'adolescence, mais une comédie intelligente sur l'Amérique, à travers le regard pétillant d'une fille de 16 ans prénommée Juno (rien à voir avec l'Alaska), allumée, frondeuse et défiant toutes les étiquettes. C'est beaucoup pour elle, et pour son interprète, la Canadienne Ellen Page (ma révélation de l'année) que Juno est mon film «tout à fait pour moi» du moment.