Dans notre cahier Cinéma de demain, les chroniqueurs de La Presse dévoileront les titres des 10 films qui, selon eux, sont les meilleurs du cru 2007. L'exercice est périlleux. Il peut même parfois chatouiller certaines susceptibilités.

Au cours d'une entrevue qu'il m'accordait à l'occasion de la sortie d'un nouveau film il n'y a pas si longtemps, un acteur avait d'ailleurs profité de la rencontre pour réclamer des explications. Il voulait savoir pourquoi je n'avais pas inscrit la comédie dramatique à succès dont il était l'une des vedettes dans ma liste des 10 meilleurs films de l'année... trois ans plus tôt! L'an dernier, un éminent producteur a publiquement déclaré sur les ondes radiophoniques s'être senti «personnellement insulté» quand il a constaté que, l'ami Cassivi mis à part, aucun des chroniqueurs cinéma de La Presse n'avait daigné inclure un film québécois dans son top 10.

Il faut croire qu'une profonde incompréhension existe sur la nature de l'exercice dans lequel se lancent à peu près tous les observateurs en cette saison. Visiblement, le sujet touche un point sensible et revêt un caractère hautement émotif. Il convient toutefois de préciser une chose dès maintenant: la composition d'un palmarès personnel constitue probablement la seule occasion dans l'année où le chroniqueur peut se permettre des choix parfaitement subjectifs. Celui qui suit de près le cinéma doit ainsi faire le tri parmi les quelque 400 productions, toutes provenances confondues, qui ont pris l'affiche à Montréal au cours des 12 derniers mois. A-t-il tout vu? Bien sûr que non. Même si son métier l'amène à visionner plusieurs films par semaine, un critique ne peut humainement pas se farcir la production annuelle entière. Forcément, il ratera certains trucs.

Cela dit, il est très clair dans mon esprit qu'une liste des 10 meilleurs films, laquelle, soit dit en passant, n'engage que l'auteur qui la dresse, doit être composée dans l'indépendance d'esprit la plus totale. Elle doit être établie sincèrement, libre de toute influence commerciale, politique, géographique ou nationale. Évidemment, on peut ensuite être d'accord ou pas avec les choix du chroniqueur (n'est-ce pas là le but?), mais il s'agit, à mon sens, de l'un des exercices les plus révélateurs auxquels ce dernier est appelé à se prêter. Parce qu'il affiche alors ses couleurs sans inhibition.

Et le cinéma québécois dans tout ça? Il y a ici deux écoles de pensée. Certains choisissent parfois d'établir des listes distinctes, selon la provenance des films. De cette façon, les titres québécois figurent obligatoirement au tableau d'honneur. J'entendais d'ailleurs récemment une cinéphile affirmer, lors d'une discussion télévisée sur notre cinéma national au cours de laquelle le public était invité à s'exprimer, qu'il était pratiquement de notre devoir de citoyen "d'encourager" les films d'ici. Elle relevait en outre les efforts que déploient les artisans de chez nous afin de produire leurs oeuvres, souvent dans des conditions difficiles. C'est un point de vue.

D'autres appliqueront en revanche une politique égalitaire pour tous, quitte à devoir se passer de titres québécois les années où la production est de qualité un peu plus faible. Je préfère de loin cette approche.

Le cinéma québécois, en effet, n'est pas "à part". Il fait partie du monde. Et ne doit souffrir d'aucun complexe. À mon sens, ce serait lui faire injure que de lui réserver un traitement de faveur. Il serait de surcroît très réducteur de changer la donne par simple complaisance. Vrai que nos artisans travaillent souvent dans des conditions difficiles et qu'ils parviennent à faire parfois des miracles avec trois bouts de ficelle. Et c'est tout à fait admirable. À l'arrivée, seul le résultat sur l'écran devrait pourtant être pris en compte.

Même si, la plupart du temps, des films bien de chez nous se sont retrouvés dans mon top 10 au fil des ans, ma nationalité n'y est ainsi pour rien. Ces oeuvres sorties de l'imagination d'artisans d'ici comptaient, à part entière, parmi les 10 meilleures de l'année. Et quand, comme cela arrive parfois, aucune production québécoise ne figure sur cette liste (ce fut le cas l'an dernier), il faut alors conclure que, parmi tous ceux que j'ai vus, 10 autres films méritaient davantage à mes yeux une sélection dans mon panthéon personnel. Ce sont les règles du jeu. Tout simplement.

Bonne année à tous.