La 65e cérémonie des Golden Globes aura été la plus rapide pour ne pas dire la plus expéditive de toute sa longue histoire. Comme le soulignait un journaliste américain dépêché sur les lieux, les deux animateurs de l'émission de NBC ressemblaient à des hôtesses de l'air, balançant des sachets de pinottes aux passagers de la classe économique.

Au bout d'une petite heure, tous les prix avaient été décernés à des gagnants absents, leurs noms à peine révélés qu'ils étaient oubliés et remplacés par d'autres noms évacués tout aussi rapidement. Quand le seul visage connu d'une soirée comme celle-là est celui de l'animatrice et Barbie trop joviale de l'insupportable Entertainment Tonight, on se dit qu'on a atteint le fond du baril.

On aura beau dire que ces soirées de gala ne carburant qu'aux strass et aux robes clinquantes ne font pas assez de place aux oeuvres, lorsque les caméras n'ont pas de stars ni de strass à ses mettre sous la dent, elles ne célèbrent pas davantage les oeuvres. Tout le contraire.

Ce que les 65es Golden Globes, dont les cotes d'écoute ont chuté en bas des 6 millions, ont cruellement démontré, c'est que gagner ne suffit pas. Encore faut-il que le gagnant se manifeste à la caméra. Peu importe s'il est saoul ou sobre, sénile ou sexy, on veut le VOIR.

On veut pouvoir détailler sa tenue et sa démarche, admirer sa coupe de cheveux ou son dernier lift et, surtout, être témoin de son émotion ou de son émoi, de ses larmes ou de son euphorie, quitte à l'entendre déparler pendant une éternité et remercier dans l'ordre, son agent, son avocat, sa femme, ses enfants et s'il reste encore du temps, le bon Dieu. Autrement, le gagnant fera autant de bruit qu'un arbre qui tombe en pleine forêt, sans que personne ne se soucie aussi bien de sa chute que de son existence.

À peine 72 heures après ces Globes sans gloire, les seuls vrais gagnants de la soirée de dimanche sont les scénaristes en grève. C'est en effet la légitimité de leur cause et la force de leur nombre qui a persuadé les stars de rester à la maison. Et si les scénaristes ne règlent pas bientôt leurs différends avec les grands studios d'Hollywood, ils se dirigent assurément vers une encore plus grande victoire. D'abord l'annulation des Grammys, puis celle des Oscars.

Il reste exactement 40 jours avant la tenue de la 80e cérémonie des Oscars, où avec un peu de chance, L'âge des ténèbres de Denys Arcand risque d'être nommé. Or, en 80 ans d'existence, la cérémonie n'a jamais été annulée. Jamais. Ni en 1940, l'année du bombardement de Pearl Harbour ni en 2003 au lendemain de l'invasion de l'Irak ordonnée par le gouvernement Bush.

En revanche, la cérémonie a été reportée trois fois: en 1938 lorsqu'un déluge dévasta Los Angeles, en 1968 après l'assassinat de Martin Luther King et en 1981 lorsqu'un tireur fou blessa le président Ronald Reagan par balle. Dans les trois cas, c'est une raison de force majeure déclenchée par une actualité politique ou météorologique qui a mené au report de la cérémonie. Mais cette fois-ci, la force majeure est, pour ainsi dire, interne. La guerre se joue entre frères ennemis. C'est Hollywood contre Hollywood. Et au rythme où vont les choses, on voit mal comment les Oscars pourraient être sauvés du déluge.

Quant à ABC, le réseau qui diffuse la cérémonie, il est perçu ces jours-ci comme l'ennemi à abattre chez les grévistes. C'est que vendredi dernier, le réseau a été le premier à porter un coup mortel, en résiliant une trentaine de contrats de longue durée avec une poignée de scénaristes, de réalisateurs et de producteurs en vue.

Lundi, Paramount, Fox, Universal et Warner Brothers emboîtaient le pas et invoquaient à leur tour la force majeure pour mettre fin à d'importants contrats. L'ennui, c'est que non seulement le réseau ABC a lancé la première pierre et donné l'exemple, mais pis encore: il a mis fin à plus de contrats que tous ses concurrents réunis.

Après un tel affront, on voit mal comment les grévistes pourraient se montrer accommodants et promettre de ne pas ériger de piquet de grève devant le tapis rouge du Théâtre Kodak, sur Hollywood Boulevard.

Évidemment, bien des choses peuvent arriver d'ici le 24 février. La première et la plus souhaitable serait que le conflit se règle à la satisfaction des deux parties.

L'énormité des enjeux économiques et publicitaires que représente la grand-messe des Oscars pourrait accélérer le processus de négociation et ramener tout le monde à de meilleurs sentiments. Je dis bien pourrait.

Dans le cas contraire, la cérémonie sera annulée pour la première fois de son histoire ou alors diffusée en classe économique avec des stars absentes pour cause de solidarité et des sachets de pinottes distribués à la sauvette en guise de statuettes.

Quant à Denys Arcand, si jamais son film est retenu dans la catégorie du meilleur film étranger, pour une fois, il n'aura même pas besoin de l'accompagner.