Dans la guerre que livrent sans cesse les petits aux grands, c'est rarement les petits qui gagnent. Je parle de manière générale. De la vie, du sport, du cinéma. Aussi, aux Oscars, il y a plus de chances qu'une baudruche gonflée à l'hélium de la taille de Titanic l'emporte, disons, sur une comédie sociale à la Full Monty. «Size matters», contrairement à ce qu'on voudrait bien nous laisser croire.

Je suis du type à m'identifier davantage aux petits qu'aux grands. Allez savoir pourquoi. Quelque chose à voir, sans doute, avec ma nature profonde (ou ma petite personne, diront certains). Lorsque j'ai appris hier matin que Juno, mon «petit» film préféré de l'année, avait été sélectionné aux Oscars, non seulement pour le jeu irrésistible d'Ellen Page, la réalisation de Jason Reitman et le scénario de la stripteaseuse devenue scénariste Diablo Cody, mais aussi dans la catégorie du «Meilleur film», je me suis pris à rêver.

À rêver que cette comédie irrévérencieuse ravisse quelques statuettes aux favoris. À rêver que tous les pronostics des spécialistes soient déjoués. À rêver que James Cameron soit contraint de remettre, 10 ans plus tard, une bonne dizaine d'Oscars que Titanic ne méritait pas.

Je peux toujours rêver. Il y a des films à Oscars comme il y a des magazines féminins, des shampoings pour hommes et des biscuits pour chiens. Atonement est de ceux-là. Il était entendu que l'épopée à grand déploiement de Joe Wright se retrouverait parmi les favoris de l'Académie (sept nominations). Son romantisme exacerbé ayant touché une corde sensible, son long plan-séquence de champ de bataille en ayant mis plein la vue, l'auguste participation de Vanessa Redgrave en fin de récit ayant rappelé en prime la vieille narratrice de Titanic.

Plusieurs de mes collègues ont souligné les qualités indéniables de cette fresque sentimentale. Je me suis trouvé un peu seul à trouver agaçante l'inclination théâtrale de ce récit d'époque (et à trouver surfait ce fameux plan-séquence, qui transpire le décor de cinéma).

Juno, en revanche, est tout sauf grandiloquent. C'est un film sans grands moyens, sans grandes ambitions, sans performance d'acteur soulignée à gros traits. Il s'agit plutôt d'une comédie intelligente sur les bonheurs et les malheurs de l'adolescence, de la vie de couple, de l'Amérique au XXIe siècle, du point de vue d'une adolescente enceinte de 16 ans (Ellen Page) à l'esprit vif, au regard oblique et au bagout frondeur.

Certains diront qu'une comédie sur l'adolescence n'a pas sa place dans la catégorie la plus prestigieuse des Academy Awards. Qu'ils se détrompent. Juno tient bien davantage de Ghost World que de Ghost, d'American Beauty que d'American Pie, de Little Miss Sunshine que de Chicken Little. Bref, d'un cinéma qui tend vers le septième art plutôt que vers le simple divertissement (les deux n'étant pas pour autant antinomiques).

Je ne me fais pas d'illusions pour mon petit favori. Les académiciens d'aujourd'hui sont sensiblement les mêmes qui ont sacré Shakespeare in Love (un supplice cinématographique) meilleur film de 1998, devant The Thin Red Line, Elizabeth, Saving Private Ryan et La vie est belle.

Mais je continue de rêver. Au jour où un Sideways, un Lost in Translation, un Fargo, voire un 4 mois, 3 semaines et 2 jours (le meilleur film de 2007 à mon avis, quoique totalement absent de cette soirée essentiellement américaine) remportera l'Oscar du meilleur film. Au jour où, pour une fois, le petit prendra le pas du grand, où David terrassera Goliath et où le négligé à 100 contre 1 remportera le Super Bowl du cinéma.

L'Oscar du meilleur film à Juno plutôt qu'à Atonement, donc? Ce n'est pas ce que je voulais dire. No Country for Old Men, des frères Coen, est le meilleur film américain de l'année. Petits et grands confondus.