Le film commence par un suicide. Aussi brutal que réfléchi. Le canon du revolver dans la bouche. Une mort sans états d'âme. Non, le film commence par deux suicides. Un corps dans la rivière, sous le pont. Par trois. Un garçon pendu dans sa chambre du sous-sol. Un pacte. En voyant l'inscription d'une tombe - Sacha Kessler (1990-2007) -, on comprend qu'un quatrième les a devancés.

Ils étaient cinq. Il n'en reste plus qu'un. Josh, laissé à lui-même pour recoller les morceaux d'une amitié brisée, d'un univers disparu. Les chums sont partis en même temps, un matin ensoleillé, chacun à sa manière. Ils avaient 17 ans. Une chanson de Loco Locass en arrière-plan. Tout est parfait, dirait Josh à qui veut bien l'entendre, s'il arrivait à en parler. Tout semblait parfait. Rien ne l'était, ne le sera plus.

On pense à Coaticook. À ces cinq jeunes d'une même polyvalente, disparus entre novembre 1996 et février 1997. Petite ville industrielle, près d'une mine. Une polyvalente comme une autre. Une équipe de football. Des filles qui suivent des cours de danse. Des skaters qui fument du pot, écoutent du hardcore, font des graffitis, se moquent des joueurs de football. Ces cinq skaters-là. Reste Josh, seul à soutenir le poids des regards, à affronter sa torpeur en faisant semblant de rien.

Tout est parfait doit ouvrir le 14 février Les Rendez-vous du cinéma québécois (avant de prendre l'affiche le lendemain et après avoir été présenté au Festival de Berlin une première fois le 9). On n'aurait pu trouver oeuvre moins romantique pour souligner l'occasion. Un film dur et poignant sur le suicide des jeunes et sur le deuil qu'il provoque. Le deuil des parents, laissés sans réponse et multipliant les questions. Celui des amis, abandonnés eux aussi à un sentiment de trahison, de culpabilité, et quoi encore.

Premier long métrage d'Yves-Christian Fournier, un (autre) lauréat de la Course destination monde (1997-1998), Tout est parfait est un film coup-de-poing, bouleversant de réalisme et de désespoir. Un électrochoc comme on en ressent trop peu souvent. Une oeuvre parfaitement maîtrisée, dont la réalisation épurée, d'une âpreté de circonstance, rappelle à certains égards le travail de Gus Van Sant ou de Larry Clark.

Yves-Christian Fournier propose une vision hyperréaliste de l'adolescence, à mille lieues des fables pour jeunes à l'eau de rose de notre télé et de notre cinéma (qui mettent souvent en scène des acteurs approchant la trentaine). Sa réalisation sert habilement le récit, sans abus de flashbacks, préférant la suggestion à l'évidence, la neutralité aux bons sentiments. Son film ne s'impose pas de point de vue moral. Il en gagne en profondeur et en acuité. On ne s'étonne pas d'apprendre que le réalisateur a lui-même perdu quatre amis à cause du suicide.

La réussite de Tout est parfait tient en grande partie au brillant scénario de l'écrivain Guillaume Vigneault, dont l'économie de mots, la finesse du propos et la justesse du ton sont remarquables. Ces adolescents vivent, s'amusent, réfléchissent, discutent, sacrent, font l'amour, comme on l'imagine le font pas mal d'entre eux. Ils sont crédibles. C'est une grande qualité, essentielle à l'appréciation du récit.

On croit aussi à ces personnages grâce à l'interprétation des acteurs. Dans le rôle de Josh, Maxime Dumontier (révélé dans Gaz Bar Blues) offre un jeu physique, superbe de contenance. Normand D'Amour est extrêmement émouvant dans le rôle du père de l'un de ses amis disparu, auprès duquel Josh cherche du réconfort. Anie Pascale, tout aussi juste dans le rôle de la mère de Sacha. Tous témoignent de la qualité de la direction d'acteurs d'Yves-Christian Fournier, qui a fait le pari de la retenue. Diriger de jeunes acteurs (certains à leur première expérience) n'est pas une mince tâche. Il s'en acquitte admirablement.

Je n'ai pas seulement été séduit, j'ai été soufflé par ce premier film, qui porte la marque d'un auteur. Hypnotisé par le jeu des acteurs, happé par l'intelligence du scénario et par la musique de Patrick Lavoie, Gillian Welch ou Cat Power. Pour vous dire mon état de symbiose, au milieu du film, sans que je sache pourquoi, m'est venue en tête une chanson de Blonde Redhead, Misery is a Burtterfly. Or, cette pièce mélancolique est apparue comme une prophétie juste avant le générique.

Fallait-il faire ce film dans notre société malade du suicide? me suis-je demandé jeudi, en rentrant à la maison du cinéma. Quel effet aura-t-il, s'il en a un? Je n'ai pas trouvé de réponse, ou j'ai préféré ne pas en trouver. J'ai plutôt eu envie d'écouter Cat Power. «We all do what we can/So we can do just one more thing/We won't have a thing/So we've got nothing to lose/We can all be free», chuchotait de sa voix tragique Chan Marshall (Maybe Not).

Des larmes chaudes ont coulé sur mes joues. Il y avait de la brume dans mes lunettes. Une brume de cinéphile en état de grâce.