Plusieurs, moi le premier, ont été déçus cette semaine par la liste des finalistes de la 10e Soirée des Jutra. Trop de p'tits cochons, pas assez du p'tit lutteur d'Hochelaga-Maisonneuve. Trop de ténèbres, pas assez d'espérance. Etc., etc. Le cinéphile est un être difficile à contenter, qui ne peut s'empêcher de remettre en question les choix des finalistes aux Jutra, Genie, Oscars et autres Césars. On ne saurait d'ailleurs lui refuser ce petit plaisir.

Aussi, vous avez été plusieurs à réagir à ma chronique de jeudi («La Soirée des oubliés»), pour me suggérer d'autres «oubliés» de la Soirée des Jutra du 9 mars prochain - outre ceux qui me sont spontanément venus à l'esprit: Anne-Marie Cadieux, Fanny Malette, Maxime Desjardins-Tremblay, Gilbert Sicotte, Anaïs Barbeau-Lavalette.

«N'est-ce pas un rôle principal que tient Suzanne Clément dans La brunante? Et Monique Mercure?» m'écrit Nathalie, qui croit que ces omissions entachent la crédibilité des Jutra. «Que dire aussi de l'absence de Denis Trudel, qui porte le film La lâcheté, bien qu'imparfait, sur ses solides épaules? ajoute Léo. Et François Girard comme meilleur réalisateur? On peut ne pas aimer Soie, mais la réalisation est formidable.» «Les choses auraient pu être pires. Nitro aurait pu être le film de l'année...» remarque à son tour Jacques. En effet.

On ne peut empêcher un cinéphile d'aimer, comme on ne peut empêcher un critique de critiquer. Mon collègue Marc-André Lussier avait raison de relever dans sa chronique d'hier les nombreuses incohérences de la liste des finalistes des Jutra. Surtout qu'en comparaison, comme il l'a souligné, les Oscars, les Césars et même les Genie s'en tirent plutôt à bon compte cette année (si l'on fait exception de la catégorie de l'Oscar du meilleur film étranger: où sont Persépolis, Lust, Caution, 4 mois, 3 semaines et 2 jours?).

Peut-on dire pour autant que le cru de finalistes élaboré par des jurys de pairs (les réalisateurs choisissent les finalistes au Jutra de la meilleur réalisation, les acteurs ceux du Jutra du meilleur acteur, et ainsi de suite), met en péril la crédibilité des Jutra? Je ne crois pas.

La Soirée des Jutra a parcouru beaucoup de chemin depuis le 18 novembre 1998, date à laquelle on annonçait en grande pompe sa création. J'avais couvert sa première conférence de presse à l'époque, pour Le Devoir. Depuis, j'ai suivi d'assez près son évolution. À l'époque, ses organisateurs, Henry Welsh et Roger Frappier notamment, espéraient que cette nouvelle vitrine télévisuelle (d'abord à TVA, ensuite à Radio-Canada) soit déterminante pour le rayonnement et la visibilité du septième art au Québec. Ils ont eu raison d'espérer.

En 1999, lors de la première remise des Jutra, seulement 16 films québécois étaient éligibles à un prix. Cette année, il y en a le double. La Soirée des Jutra, tournée en dérision à ses débuts par ceux qui n'y voyaient qu'une séance d'autocongratulation en manque de crédibilité (les probabilités de remporter un prix étaient pour le moins intéressantes), s'est imposée avec le temps comme un événement incontournable dans le paysage cinématographique et télévisuel. Personne n'aurait prédit pareille chose il y a 10 ans. Pas plus qu'à l'époque on n'aurait cru que les parts de marché du cinéma québécois frôleraient un jour les 20%.

On parle depuis quelque temps de la perte de vitesse du cinéma québécois. Il reste autrement plus en santé qu'il ne l'était en 1998. La quantité et la qualité des courriels de cinéphiles que j'ai reçus cette semaine, regrettant l'absence de tel ou tel acteur, de telle ou telle actrice ou de tel ou tel cinéaste parmi les finalistes des Jutra, témoigne aussi à mon avis, à petite échelle, de l'intérêt que suscite aujourd'hui non seulement le cinéma québécois, mais aussi le gala qui le célèbre depuis 10 ans.

On a eu beau, avec raison, trouver excessives cette semaine les 13 sélections des 3 p'tits cochons à la Soirée des Jutra (comme les 12 sélections de Bon Cop, Bad Cop l'an dernier, pour un seul prix - le montage), un coup d'oeil aux palmarès des années précédentes nous confirme qu'à l'arrivée, les membres votants des Jutra n'ont jamais favorisé des films populaires médiocres au détriment de films d'auteurs plus achevés, mais confidentiels. Le Billet d'or du film le plus populaire n'a coïncidé qu'une fois (C.R.A.Z.Y. en 2006) avec le Jutra du meilleur film.

Pour tout dire, les «électeurs» des Jutra ne se sont pas trompés souvent, à mon avis, depuis 10 ans (on ne peut en dire autant de ceux des Oscars ou des Genie). Leurs choix ont le plus souvent été conséquents. Les Jutra du meilleur réalisateur et du meilleur scénariste (à l'exception d'Yves Pelletier pour Les aimants, en 2005) ont toujours été remis au cinéaste du Jutra du meilleur film. Voyez par vous-même.

Vous n'êtes pas d'accord avec mon analyse? Il n'y a rien comme un petit débat entre cinéphiles passionnés...:

1999: Le violon rouge de François Girard

2000: Post mortem de Louis Bélanger

2001: Maelström de Denis Villeneuve

2002: Un crabe dans la tête d'André Turpin

2003: Québec-Montréal de Ricardo Trogi

2004: Les invasions barbares de Denys Arcand

2005: Mémoires affectives de Francis Leclerc

2006: C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée

2007: Congorama de Philippe Falardeau