J'ai lu la fiche qu'a publiée la Régie du cinéma du Québec pour justifier sa décision d'interdire Tout est parfait aux moins de 16 ans. Bien sûr, le mot «interdiction» ne figure jamais dans le libellé. Dans les faits, c'est pourtant de cela qu'il s'agit. Car cette cote «16 ans et plus» est restrictive. C'est dire que, même s'ils sont accompagnés d'adultes, des ados âgés de 15 ans devraient en principe être refoulés à l'entrée d'un cinéma où l'excellent long métrage d'Yves Christian Fournier est à l'affiche.

«Dans ce film, peut-on lire dans l'avis émis par la Régie, la présentation des suicides (avec une arme à feu, par pendaison, par noyade) et d'une tentative de suicide avec une voiture est violente et réaliste. Le mal de vivre des jeunes est illustré par le désoeuvrement, l'insouciance, la consommation de drogues (marijuana, cocaïne, amphétamines) et d'alcool. Le climat dépeint est plutôt sombre et offre peu d'espoir aux jeunes. L'absence de communication entre les adultes et ceux-ci est inquiétante. Finalement, le point de chute du film interpelle le jury car il offre, à son avis, un message qui pourrait être mal interprété par des jeunes excessifs ou fragiles.»

Je vous épargne la suite car un élément crucial du scénario y est révélé. Disons simplement qu'on évoque un geste qui pourrait être interprété «comme un geste de lâcheté qui conduit à des tourments plus grands que ceux des victimes». Et on conclut en expliquant que «pour ces raisons, et considérant qu'un avis scientifique sur la prévention du suicide chez les jeunes (Institut national de la santé publique du Québec, mars 2004) déconseille la présentation de films sur le suicide aux adolescents afin de protéger les plus vulnérables, le jury estime que le film doit être réservé au spectateur possédant une certaine maturité».

En tant que cinéphile, cette décision me hérisse. Le langage empesé qu'utilise le jury, dont le mandat est de refléter «les tendances générales et les valeurs de la société québécoise», traduit bien l'espèce d'impasse dans laquelle sont coincés les créateurs. À tout le moins ceux qui veulent honnêtement faire écho à une réalité sociale, particulièrement quand il s'agit de jeunes personnages.

Bien sûr, le thème du suicide ne doit pas être traité n'importe comment. Tout le monde s'entend. Dans son film, Fournier, qui, soit dit en passant, est en furie contre la décision du jury, mise sur l'évocation, le non-dit. Il n'impose rien. Il ne porte aucun jugement moral, n'apporte aucune réponse. Bref, il fait du cinéma. Un cinéma qui s'interroge, qui bouscule. Un cinéma qui fait confiance à l'intelligence du spectateur en le confrontant à une réalité difficile.

C'est une approche courageuse et admirable. Surtout dans un pays déjà trop miné par les codes narratifs d'un cinéma de CLSC et d'émissions jeunesse conçues par des spécialistes de tout acabit. Où chaque problématique doit être expliquée, illustrée, soulignée au gros crayon gras. Où chaque histoire dramatique doit impérativement être «porteuse d'espoir». Et offrir des pistes de solutions.

Or, voilà qu'un cinéaste décide de faire autre chose que du Ramdam en empruntant une approche beaucoup plus réaliste. Et tout le monde capote. On ne sait trop que faire tellement nous ne sommes plus habitués à cette forme de langage. Alors on juge son approche «risquée», voire dangereuse.

Les artisans de Tout est parfait étaient pourtant bien conscients de la responsabilité liée au sujet délicat qu'ils abordent dans leur film. «Il n'était absolument pas question que j'aie la moindre goutte de sang sur les mains», a d'ailleurs confié Yves Christian Fournier à ma collègue Rima Elkouri la semaine dernière. D'où cette consultation avec des professionnels bien au fait de cette question afin de s'assurer que son film n'incite d'aucune façon une personne suicidaire à passer à l'acte.

«Ce sont des gens en qui j'ai pleinement confiance, me disait le cinéaste à son retour du Festival de Berlin. Je sais que d'autres experts ne seront pas d'accord avec cette approche, mais je les laisserai s'obstiner entre eux. Je trouve par ailleurs regrettable la décision de la Régie car les thèmes que nous abordons dans le film affectent directement les ados. Pensez-vous vraiment que les jeunes de 13-14-15 ans n'entendent jamais parler de suicide?»

Contrairement à ceux qui déconseillent la présentation des films sur le suicide aux adolescents, Fournier, en amoureux de la vérité, estime qu'il faut plutôt briser le maudit silence. Selon lui, une problématique exposée avec réalisme aurait plutôt un effet dissuasif.

J'ajouterai qu'en interdisant l'accès au film à des gens qui pourraient personnellement en tirer quelque chose, on tombe dans les mêmes pièges que ceux dans lesquels sont tombés ceux qui ont montré du doigt The Basketball Diaries quand est survenue la tuerie de Columbine. Ce ne sont que des films après tout. Des oeuvres d'art. Imaginées par des créateurs qui n'ont d'autre prétention que de partager leur vision des choses.

Avant de faire porter l'odieux d'un drame à un film, à un jeu vidéo ou à un air de heavy metal, n'y aurait-il pas lieu d'aborder les choses en amont? Ne vaudrait-il pas mieux se demander collectivement pourquoi tant de jeunes ont envie de se flinguer?

Si ça se trouve, un adolescent qui ira voir Tout est parfait sera évidemment interpellé, mais il se frottera aussi à une autre forme de narration, différente de celle qu'on lui propose dans toutes les productions emballées sous vide avec lesquelles on le gave.

Si ça se trouve, il découvrira aussi ce qu'est le vrai cinéma. C'est déjà énorme. Et très précieux.