Que l'on soit scénariste ou non, la leçon de scénarisation de Denys Arcand promettait d'être l'événement de la journée, lundi, aux Rendez-vous du cinéma québécois.

Une heure avant le début de la leçon, plus des 200 fidèles faisaient la queue au milieu du hall de la Cinémathèque, dans la bonne humeur et l'anticipation. Malheureusement, dès l'ouverture des portes du bistro où avait lieu l'événement, la leçon de cinéma s'est muée en cirque parano et en chasse aux sorcières, les sorcières dans ces cas-ci étant les méchants journalistes.

Sous prétexte qu'il ne voulait pas qu'on déforme ses propos, Arcand a fait allumer les lumières de la salle et a demandé aux journalistes de sortir, leur interdisant par la même occasion de rapporter ses propos dans les médias le lendemain. Disons que, de la part d'un homme qui, à la fois comme historien et comme cinéaste, connaît aussi bien le prix de la liberté que les ravages de la censure, ça laissait à désirer...

Denys Arcand n'est sans doute pas le premier à offrir une prestation publique en insistant pour qu'elle demeure privée. J'ai d'ailleurs entendu dire que cette confusion des genres se pratique encore couramment au Kajistan...

N'empêche. Ce n'est pas parce que dans nos sociétés, les artistes, comme les statues, ont tous les droits, qu'il faut leur permettre tous les caprices. Ce fut pourtant le cas lundi. Pourquoi? Voilà la grande question. La poser, c'est reconnaître que le cinéaste n'est pas l'unique responsable de cette lamentable épreuve de force contre la liberté de la presse. Les vrais responsables, c'est la direction des Rendez-vous et sa directrice, Ségolène Roederer, pour ne pas la nommer.

C'est Ségolène Roederer qui a accepté docilement, et avec une consternante complaisance, les conditions imposées par Denys Arcand. Elle aurait pu tenter de le raisonner ou, carrément, de lui faire changer d'idée. Elle a préféré le cautionner, quitte à museler une presse dont elle se sert pourtant abondamment pour faire la promotion des Rendez-vous.

Tiens donc. La directrice n'a pas vu la contradiction. Pas plus qu'elle n'a compris pourquoi je piaffais de frustration devant les portes qu'elle tenait jalousement fermées, au nom de quoi au juste? La liberté de l'art ou sa dictature?

Il me semble que lorsqu'on est à la tête d'un événement public qui se veut rassembleur et dont le nom commence par le mot «rendez-vous», on ne le gère pas en fermant les portes aux journalistes ou en leur braquant des projecteurs dessus comme s'ils étaient des repris de justice. Surtout pas après avoir signé un éditorial qui présente la série des leçons de cinéma comme un appel à la connaissance et au partage. Partage avec qui, au juste? Tout le monde sauf ces citoyens de seconde zone que sont les journalistes?

Les Rendez-vous du cinéma québécois existent depuis 26 ans grâce à la générosité des gouvernements, mais aussi grâce au travail des journalistes, dont la couverture a accordé à l'événement une visibilité vitale à sa survie. Si les journalistes n'avaient pas été là toutes ces années, l'événement n'existerait peut-être plus aujourd'hui. C'est pourquoi je suggère à Mme Roederer, l'année prochaine, d'ajouter à ses leçons de cinéma des leçons de journalisme et, par mesure de prudence, un cours 101 sur la libre circulation de l'information.

La femme qui ne se voyait plus aller

Au sommet de sa gloire, alors qu'elle était la femme d'affaires la plus riche et la plus respectée en ville, Micheline Charest a perdu contact avec la réalité, ses lois, ses règlements et ses valeurs. C'est essentiellement ce que nous dit la documentariste Francine Pelletier dans un film sur l'ex-fondatrice de Cinar présenté ce soir aux Rendez-vous.

Le titre du film - La femme qui ne se voyait plus aller - décrit bien cette battante flamboyante et surmédiatisée qui a connu le succès comme le scandale avant de mourir bêtement des suites d'une chirurgie plastique en 2004.

Selon Francine Pelletier, Micheline Charest était tellement intoxiquée par son pouvoir et son ambition qu'elle y a sacrifié sa morale et son intégrité.

Ceux qui ont suivi les tribulations du scandale Cinar avec ses détournements de millions, son recours aux prête-noms et l'interminable saga judiciaire de l'auteur Claude Robinson n'apprendront rien de neuf.

Les autres, c'est-à-dire le reste des habitants de Montréal et du Québec, vont pouvoir se rafraîchir la mémoire. Ils pourront par la même occasion saisir toute la portée d'un scandale dont les acteurs principaux n'ont jamais été punis.

Aussi l'intérêt du documentaire de Pelletier tient-il à la belle synthèse qu'il nous offre, mais aussi aux nombreuses questions sur l'ingérence politique des libéraux de Jean Chrétien qu'il soulève. Et puis, grâce à ce document de 52 minutes, l'affaire Cinar est maintenant filmée et enregistrée pour la postérité. Elle ne risque plus de disparaître dans l'oubli.

Pour Claude Robinson, qui se bat depuis bientôt 10 ans contre le vol intellectuel dont il a été victime et qui va enfin pouvoir plaider sa cause à l'automne, je devine que ce film, n'est pas qu'un document. C'est une bénédiction.