Dans le jardin luxuriant du Consul général du Canada où avait lieu la fête annuelle pour les Canadiens aux Oscars, un bataillon de médias attendait la star de l'heure : Ellen Page, vedette de Juno qui, pour ses 21 ans, a reçu le plus beau cadeau de tous: une nomination dans la catégorie meilleure actrice. Mais la jeune prodige de Halifax est tellement en demande qu'elle ne s'est jamais pointée dans le jardin du consul où il s'est mis à pleuvoir des clous. Pas plus que sa consoeur, l'actrice et réalisatrice Sarah Polley, une autre Canadienne qui a charmé Hollywood et obtenu deux nominations pour son premier film Away From Her mettant en vedette Julie Christie.

Cette pluie froide ruisselant contre les parois du chapiteau dressé dans le jardin, ajoutée à l'absence de deux actrices fort attendues, aurait pu gâcher la fête. Il n'en fut rien, grâce à Jason Reitman, le réalisateur de Juno, un Montréalais ou plutôt un simili-Montréalais par sa mère, Geneviève Robert, qui a grandi à Montréal et qui a débuté au cinéma dans Red de Gilles Carle.

Pris d'assaut par les journalistes canadiens, Jason a profité de l'occasion pour lancer un pavé dans la mare canadienne. Pas au sujet des Oscars. Au sujet des Genies. «Quelqu'un pourra-t-il un jour m'expliquer pourquoi le film de David Cronenberg (Eastern Promises), un film sur la mafia russe, tourné à Londres avec des acteurs britanniques, a été sélectionné pour les Genies à Toronto et pas mon film qui a pourtant été tourné au Canada, réalisé par un Canadien et joué par des acteurs canadiens?» a-t-il demandé avec humeur. La réponse n'a pas tardé à fuser de l'autre bout du jardin où Wayne Clarkson, le président de Téléfilm, a expliqué que c'était une simple affaire d'argent. «Juno a été entièrement financé par des fonds américains et de ce fait n'est pas admissible aux Genies. C'est déjà arrivé. Pas juste à Jason. À son père Ivan Reitman aussi, avec Ghostbusters

Mais Jason Reitman est revenu à la charge, affirmant que le financement de son film était peut-être américain mais que son esprit était pur érable canadien.

«L'ouverture qu'on retrouve chez les personnages, leur sens de la famille et l'espèce de tolérance qui prévaut tout au long de l'histoire, tout cela c'est canadien, ça me ressemble et j'en suis fier.»

Fier au point de vouloir remporter un Oscar pour le Canada? «Oubliez ça, je ne gagnerai pas l'Oscar. Et honnêtement, je m'en fous. Je n'ai pas fait ce film pour gagner des prix.»

On connaît la chanson, mais rarement a-t-elle été chantée aussi souvent que cette année. À peine Jason Reitman venait-il d'annoncer qu'il se fichait de l'Oscar que Julie Christie, toujours aussi belle et pas retouchée malgré ses 67 ans, répétait à peu de choses près les mêmes mots. «Ce qui compte c'est les films, pas les prix. Moi je m'en fous de gagner et si je suis là, c'est pour le film de Sarah Polley», a dit celle qui fera concurrence à Ellen Page dimanche soir et qui risque de gagner.

Deux tables plus loin, Chris Lavis et Maciek Szczerbowski, les deux créateurs de Madame Tutli-Putli, un film d'animation dont les yeux vivants des personnages rappellent ceux des Têtes à claques, étaient à peine plus optimistes.

«L'année dernière, l'ONF a gagné l'Oscar de l'animation avec le film de Torill Kove. C'est impossible que l'ONF gagne deux années de suite», a expliqué Chris, le plus raisonnable des deux. Son collègue Maciek en a rajouté.

«De toute manière, ce n'est pas le prix qui fait le film ou qui le rend meilleur. Le film existe et qu'il gagne ou non, ce film-là est une leçon pour Hollywood et témoigne de la vitalité de l'animation montréalaise. Quand on s'est pointé à l'ONF pour la première fois, on était deux losers rachitiques qui voulaient faire un film philosopho-jungien-transcendental. À Hollywood, on n'auraient même pas réussi à franchir la porte de l'édifice.»

«C'est clair qu'il y a à Montréal un esprit de liberté et de créativité qu'on ne trouve pas ailleurs, affirme Chris, qui cite l'influence marquante qu'a eue sur lui Jean-Frédéric Messier, le directeur artistique de la troupe Momentum. Céline Bonnier, Stéphane Crête, Jean-Frédéric, tous ces gens-là sont nos partenaires de travail, nos copains, mais ce sont surtout des créateurs qui nous ont beucoup inspirés.»

Non loin de lui, James Braithwaite, l'illustrateur de I Met the Walrus, parle avec le même enthousiasme de Montréal, où il vit depuis 2003.

Le fait que I Met the Walrus fasse concurrence à Madame Tutli-Putli dans la catégorie du meilleur court métrage d'animation n'a pas empêché ces messieurs de fraterniser dans le jardin du consul ni de se souhaiter mutuellement de gagner. Quant à Jason Reitman, il est reparti avec un surnom: Little Mister Sunshine, en hommage au petit film indépendant et sympa de l'année dernière qui a suscité beaucoup d'espoirs mais qui n'a finalement pas remporté l'Oscar du meilleur film. Jason est convaincu que c'est le sort qui l'attend. Si jamais le soleil revient sur le tapis rouge ce soir, ce sera peut-être le signe que Jason s'est trompé.