C'est une histoire d'une délicieuse ironie. Elle commence par un panneau publicitaire réalisé à partir d'une photo tirée du film Annie Hall et montrant Woody Allen déguisé en rabbin. Cette photo grandie, magnifiée et récupérée par la compagnie American Apparel, s'est élevée en mai dernier dans le ciel de New York et dans celui de Los Angeles sans l'assentiment du principal intéressé.

Cette semaine, soit pratiquement un an plus tard, Woody Allen a donc a déposé une poursuite de 10 millions pour exploitation de son image sans son consentement. Les raisons invoquées sont tout ce qu'il y a de plus logique et légitime. Woody Allen n'a jamais fait de publicité ni vanté aucun produit aux États-Unis, ce qui rend cette campagne publicitaire d'autant plus dommageable, ont plaidé les avocats du cinéaste.

Si ces derniers ont pris la peine de spécifier «aux États-Unis», c'est parce que Woody Allen a déjà fait la promotion d'au moins un produit, une carte d'American Express. Sauf que la campagne d'American Express, à ne pas confondre avec American Apparel, était destinée au marché européen. Nuance.

Toujours est-il qu'au lendemain de la poursuite, le porte-parole d'American Apparel, a présenté des excuses publiques au cinéaste. «Nous admirons sans réserve Woody Allen à la fois comme cinéaste et comme satiriste social et politique et nous sommes peinés de l'avoir offensé», a déclaré celui qui parlait au nom de l'entreprise mais surtout au nom de son fondateur, Dov Charney, coloré personnage et curieux mélange d'idées de gauche et de néo-misogynie, né à Montréal, frère de Melvin et d'Israel Charney et beau-frère de Christiane Charette.

Le porte-parole est allé encore plus loin en niant que l'entreprise ait voulu utiliser l'image de Woody Allen pour vendre des t-shirts.

«Nous avons utilisé son image de rabbin à des fins de parodie sociale. Car même si nous nous servons de nos panneaux publicitaires pour vendre nos produits, il nous arrive à l'occasion d'en faire les véhicules de commentaires politiques et sociaux.»

Évidemment, le porte-parole de Dov Charney n'a pas expliqué quel message social ou politique son patron cherchait à passer à travers le rabbin Allen. La religion tournée en dérision? L'humour élevé au rang de religion?

À mon avis, le message est encore plus tordu que cela. Il m'apparaît directement lié aux accusations de harcèlement sexuel et d'exploitation de l'image de jeunes filles nubiles, portées contre Dov Charney.

Pour ceux qui l'ignorent, Dov Charney a fait la fortune et la réputation d'American Apparel grâce à trois ingrédients: du coton de première qualité, des ouvriers payés 18 $ de l'heure dans des usines propres et humaines et un marketing féroce basé sur de jeunes mannequins d'un jour, recrutés directement dans la rue et dont les poses lascives sur les affiches sont à la limite de la porno et parfois même de la pédophilie, tant les filles sont jeunes.

Si vous ne savez pas de quoi je parle, il vous suffit d'aller sur le site d'American Apparel. Vous y découvrirez une collection complète de jeunes pitounes qui vendent la nouvelle collection de t-shirts, de leggings ou de maillots, le cul bombé, les jambes écartées et la plupart du temps à quatre pattes par terre.

C'est d'ailleurs en parcourant ce catalogue virtuel que je suis tombée sur une série de photos dont la vedette était une jeune Asiatique qui ressemblait comme deux gouttes d'eau à Soon-Yi, nulle autre que Madame Woody Allen.

En la voyant, j'ai tout compris. Compris que le message que Dov et ses amis ont envoyé dans le ciel de L.A. et de New York, à travers le faux rabbin, n'avait rien à voir avec l'admiration cinématographique ou l'émulation satirique.

Dov Charney aime peut-être les films de Woody Allen mais ce qu'il aime encore davantage, c'est la liberté sexuelle et morale que le cinéaste s'est donnée en épousant sa belle-fille adoptive, malgré le tabou social et les 35 ans qui les séparent. Par conséquent, le panneau publicitaire à l'effigie de Woody n'était pas un appel à l'humour ou à la prière de la part d'American Apparel. C'était, à mon avis, une question lancée dans le ciel et adressée à toute la société. Pourquoi, y demandait-on, American Apparel n'a-t-elle pas le droit d'exploiter en toute liberté l'image de jeunes filles nubiles alors que Woody le faux rabbin a le droit de les épouser?

Vous trouvez que je charrie? C'est possible. Mais si jamais j'ai raison, je comprends Woody d'être en beau fusil et d'exiger une compensation de plusieurs millions.