Quand Olivier Gourmet est venu à Montréal pour assister à la première de Congorama au Festival du nouveau cinéma, nous avons beaucoup discuté de son pays, la Belgique.

Je n'avais pu résister à la tentation de lui demander ce que les habitants du plat pays pouvaient bien mettre dans leurs gaufres pour que leur cinéma soit aussi fort, malgré une production annuelle d'à peine quelques films. J'avais alors rapporté ses propos dans le cadre de cette chronique.

L'acteur, notamment lauréat du prix d'interprétation du Festival de Cannes grâce au film des frères Dardenne Le fils, avait expliqué que les cinéastes wallons peuvent se permettre toutes les audaces, car leurs films n'ont pratiquement pas de public sur le territoire national. «C'est un grand paradoxe, avait-il alors dit. Notre cinéma n'est connu que des cinéphiles. Il n'y aura jamais chez nous d'«industrie» du cinéma. On peut pratiquement faire ce que l'on veut!»

Gourmet avait, du même souffle, fait remarquer que la dynamique était différente du côté flamand. Dans la mesure où l'on parvient sur ce flanc à produire des films qui rejoignent leur public, mais dont les chances d'exportation sont pratiquement nulles.

Il est vrai que les films belges néerlandophones sont moins nombreux à s'imposer sur le plan international. Je discutais d'ailleurs de cette question un peu plus tôt cette semaine avec Nic Balthazar, heureux réalisateur flamand de Ben X, colauréat l'an dernier du Grand Prix des Amériques du Festival des films du monde de Montréal.

En l'écoutant parler de son coin de pays (il vit à Gand, une ville de Flandre située non loin de Bruxelles), on ne peut faire autrement que de constater à quel point la Belgique et le Québec, sans même parler de leurs questions linguistiques respectives, partagent une certaine communauté d'esprit. Cela dit, le royaume d'Albert II a bien failli y laisser sa peau l'an dernier, survivant sans gouvernement pendant des mois. «Nous sommes les rois de l'absurde et du surréalisme, observe Balthazar. Cela se reflète forcément dans nos institutions!»

Sans entrer dans les méandres d'une situation politique extrêmement complexe, il est quand même assez fascinant de constater que, sur le plan culturel, les deux communautés belges, à quelques exceptions près, sont pratiquement imperméables l'une à l'autre. «Les films des frères Dardenne obtiennent plus de succès en Flandre qu'en Wallonie!» fait pourtant remarquer Balthazar.

Alors que les Wallons doivent gérer avec la France un rapport de force qui ressemble à s'y méprendre à celui qui s'est établi entre les États-Unis et le Canada anglais, les Flamands, eux, ne peuvent se tourner que vers eux-mêmes pour se forger une identité.

«Comme nous partageons la même langue, on pourrait croire que les Pays-Bas constitueraient un marché naturel pour nous, explique l'auteur cinéaste âgé de 43 ans. Or, il n'en est rien. Les deux cultures néerlandophones ne s'entremêlent pas. Il n'y a aucun échange. Parfois, nous en venons même chez nous à faire des remakes de films produits aux Pays-Bas! Pour le Hollandais, le Flamand est comme ce petit frère handicapé qu'on trouve sympathique. C'est tout.»

Ces déchirements attristent en tout cas cet Européen de coeur et d'esprit, qui tire une grande fierté du fait que Bruxelles ait été désignée capitale de l'Europe.

«Je ne suis pas optimiste du tout quant à l'avenir de mon pays, dit Balthazar. Je fais d'ailleurs moi-même partie de l'une des dernières générations de Flamands ayant fait l'apprentissage du français. Mes compatriotes plus jeunes se tournent désormais vers l'anglais. Du côté des Wallons, peu d'entre eux connaissent les rudiments du néerlandais. La frontière linguistique est pratiquement infranchissable. À l'époque où j'étais chroniqueur de cinéma à la télévision publique, la VRT, je côtoyais mes collègues francophones de la RTBF uniquement dans les visionnements de presse. On ne se croisait jamais dans l'édifice où nous travaillions - qui était pourtant le même - tellement les deux communautés fonctionnent chacune de son côté!»

Au plus fort de la crise nationale de l'an dernier, l'acteur-cinéaste Lucas Belvaux (La raison du plus faible) a d'ailleurs reconnu ce fait dans une interview accordée à Télérama.

«Je suis wallon, originaire d'une petite ville à la frontière française, où je n'ai jamais entendu parler flamand. Au collège, la plupart d'entre nous apprenaient l'anglais en priorité, alors que la première chose à faire aurait sans doute été d'apprendre le flamand. Pour créer une culture commune, il est délicat de ne pas apprendre la langue de l'autre.»

Dans ces circonstances, la Belgique peut-elle survivre? Pour l'amour du cinéma, souhaitons-le.

La sainte odeur de la flanelle

J'envie parfois mes collègues de la section des sports. Si, si. Le monde culturel a beau générer sa bonne part de psychodrames en tous genres, jamais ne suscite-t-il autant de discussions enflammées qu'un simple changement dans la composition du quatrième trio chez le Canadien. Une fièvre collective de l'ampleur de celle que nous connaissons depuis quelques jours est impensable dans notre secteur. Vous savez où est l'endroit où je suis le plus à même de constater tout cela? Aux points de contrôle de sécurité à l'aéroport.

Voici, à titre d'exemple, le compte rendu d'une conversation avec l'un des préposés, un jour où la sainte Flanelle disputait un match important à Boston le soir même. Précisons que cet échange a eu lieu pendant que j'enlevais ma ceinture, que j'ôtais mes souliers, que je mettais mes clés dans mon veston, le portefeuille dans mon bagage à main, et le sac de plastique contenant de petites quantités de gels et liquides dans le bac. Nous en étions alors à l'étape où je sortais de mon attaché-case l'ordinateur portable identifié à La Presse.

- Oh! Vous êtes journaliste?

- Euh oui.

- À La Presse?

- Euh oui.

- Couvrez-vous le Canadien? Allez-vous à Boston pour couvrir la partie de ce soir?

- Euh non, je m'en vais à New York.

- Ils vous envoient couvrir la partie des Rangers? Ils jouent contre qui ce soir?

- Je sais pas.

- Mais vous écrivez sur quoi, vous?

- Euh le cinéma.

- Oh. (Remarquez ici l'absence de point d'exclamation)

-??

- Ça fait que vous êtes sûr que vous allez pas à Boston? Vous verrez même pas la game?

- Euh non. C'est pas ma job.

- C'est plate pour vous. En tout cas vous direz à Gagnon, Labbé, Bégin, Tremblay, Brunet, pis toute la gang que je les lis, même si je suis pas toujours d'accord avec eux.

- J'y manquerai pas.

- Pis vous, c'est quoi votre nom? Attendez, je regarde votre carte. Hmmm... Non, je vous connais pas.

- C'est pas grave. Je peux-tu me ramasser?

- Oui, oui. Bon voyage.

- Merci. Pour tout. Vraiment.