Consommée en doses homéopathiques au petit écran, les soirs de semaine alors qu'on est au lit en pyjama, la série Sex and the City est parfaitement charmante.

Adaptée au grand écran avec ses couleurs trop vibrantes, son festival de marques, son nombrilisme féminin et ses horribles sacs Louis Vuitton, la série devenue un film de presque 2h30, tombe sur les nerfs. Royalement.

C'est comme si tout à coup, ce qu'on consommait passivement tard le soir sans trop y porter attention affichait, sous la loupe du cinéma, ses vraies couleurs. L'amitié entre ces quatre filles modernes, urbaines et émancipées demeure mais, cinéma oblige, elle a été mise au service d'une autre histoire: celle en fin de compte de quatre pétasses privilégiées et bourrées de fric qui ne foutent rien de leurs 10 doigts sinon s'acheter des godasses hors de prix, bouffer dans des restos chic et caler des Cosmos en se plaignant des hommes même quand ces derniers ne leur ont rien fait. Ou si peu.

Dans la série télé, au moins, Carrie Bradshaw, le personnage principal, faisait semblant de gagner sa vie en rédigeant, assise en tailleur, son ordinateur portable sur les genoux, une chronique, pour ne pas dire la chronique hebdomadaire la plus payante du monde, vu son train de vie et la richesse de son placard à chaussures.

Mais dans le film, Carrie ne fait plus rien, sinon se morfondre sur son triste sort. Cette activité mobilise à ce point ses énergies qu'elle est obligée d'engager une assistante personnelle pour défaire ses boîtes et répondre à ses courriels. Bref, non seulement, elle ne fout rien, mais elle a besoin d'une assistante personnelle pour le faire!

À noter, en passant, que l'assistante interprétée par Jennifer Hudson est noire. La seule fois où on la voit ailleurs que dans l'appartement de Carrie, elle est dans une fête où il n'y a que des Noirs, signe que dans le monde de Carrie Bradshaw, les races et les classes sociales ne se mélangent pas.

À quoi pensait donc Michael Patrick King, l'auteur et réalisateur, lorsqu'il a écrit ce scénario complaisant qui se veut un conte de fées pour adultes mais dont les quatre personnages principaux, des femmes pourtant de 40 ans et des poussières, se comportent avec la maturité de fillettes de 12 ans? Et que voulait-il nous dire à travers ces hommes riches, gentils et presque parfaits qui suscitent immanquablement notre sympathie malgré leur consistance de carton?

Aujourd'hui, alors que le film sort sur 1 million d'écrans après un marketing d'enfer et une publicité gratuite qui dure depuis des semaines, que devons-nous au juste penser de Carrie, Charlotte, Samantha et Miranda? Devons-nous les aimer? Les envier? Nous identifier à elles? Fantasmer sur elles, le nez collé contre la vitrine de leur vie riche et dorée qui nous renvoie à notre misérable statut de Cendrillon et de Charlotte de Notre-Dame?

Certains scénaristes ont la mauvaise habitude de vouloir écrire des histoires sur mesure pour des clientèles ciblées. C'est une mauvaise idée qui donne le plus souvent de mauvais résultats, puisque le scénariste ne part pas d'un élan personnel mais d'une intention: celle de manipuler sciemment le public. Or, même si le cinéma est manipulation par essence, pour bien manipuler encore faut-il partir du principe que les gens à qui l'on s'adresse sont intelligents.

Malheureusement, on a la nette impression que Michael Patrick King est parti du principe que sa clientèle majoritairement féminine, était imbécile, frivole, immature, matérialiste à l'os et que son plus grand rêve ce n'est pas tant d'épouser un prince charmant qu'un prince charmant riche à craquer comme le chum de Carrie, qui d'un claquement de doigts peut lui offrit un appartement de 30 millions.

La flamboyante intellectuelle et pamphlétaire américaine Camille Paglia a déjà écrit que Sex and the City consacrait la victoire des féministes post-modernes, celles qui n'ont pas peur du sexe ni de leur féminité. C'était peut-être le cas avec la série télé mais avec le film, la seule victoire qui se dessine à l'horizon c'est celle du fric, du statut social et des sacs Louis Vuitton. Désolant.