Il y a cinq ans, Marie-Josée Croze a tout plaqué. Prise malgré elle dans une folle spirale après son Prix d'interprétation féminine au Festival de Cannes (pour Les invasions barbares), elle est partie voir ailleurs si elle s'y trouvait. Elle a quitté son appartement montréalais, rompu avec certains «amis» malveillants, fui le regard insistant des médias, pris ses cliques, ses claques et a déménagé ses pénates à Paris. Spontanément, brusquement, pratiquement sur un coup de tête.

J'ai repensé à ce départ précipité en voyant Deux jours à tuer de Jean Becker, dans lequel elle incarne une femme consternée par le départ inattendu de son mari Antoine, homme sans histoire qu'incarne avec brio Albert Dupontel et qui décide, en moins de 24heures, de saborder sa vie, en quittant femme, enfants, travail et situation en apparence enviable pour ne jamais plus regarder dans le rétroviseur.

Marie-Josée Croze, évidemment, n'a pas quitté Montréal pour saborder sa vie, mais bien pour lui donner un nouveau souffle à Paris. Sauf que sa fuite a aussi semblé motivée par un carcan trop étouffant, certaines règles trop contraignantes (du milieu du cinéma québécois entre autres) et un certain mépris qu'elle percevait dans son entourage professionnel.

Un prix à Cannes, ça ne change pas le monde, sauf que... ça projette sous les feux de la rampe, ça dérange son train-train quotidien, ça attise les jalousies.

Un peu comme celui d'Antoine, le départ de Marie-Josée a été entouré de mystère. Et comme Antoine, elle en a profité pour dire à chacun ses quatre vérités. On lui a beaucoup reproché sa franchise au Québec, la trouvant ingrate alors qu'elle était blessée, inconvenante alors qu'elle est farouche, prétentieuse alors qu'elle est de son propre aveu mégalomane, comme du reste bien des artistes.

Contrairement au film de Jean Becker, par ailleurs réussi, l'aventure parisienne de Marie-Josée Croze n'a pas été cousue de fil blanc. Son issue n'était pas prévisible. Son Paris, un véritable pari. Certes, il y avait des propositions qui l'y attendaient, mais rien de définitif. L'actrice a foncé. Avec son bagou, son talent, ce regard perçant en équilibre entre la folie et l'intelligence hors normes.

Cinq ans plus tard, la revoilà chez nous, chez elle. Cette semaine, elle était de toutes les tribunes pour parler de son nouveau film. Affichant l'assurance, la sérénité, le bonheur de celle qui a remporté son pari. Et de formidable manière. En imposant sa vision, en prenant des risques, en faisant des choix judicieux, guidés par un flair incontestable et une confiance renouvelée en elle-même.

À preuve, ce dernier rôle de Cécile, tout en nuances, sur le fil du rasoir, émouvant dans la justesse et la retenue, jamais dans l'esbroufe. C'est grâce à cette sensibilité, à cette acuité, à cette élégance aussi que Marie-Josée Croze se retrouve aujourd'hui parmi les actrices les plus en vue en France. Et que Steven Spielberg, comme Julian Schnabel ou Guillaume Canet, cognent volontiers à sa porte.

Surtout que le meilleur semble à venir. On la verra l'an prochain tenir le premier rôle de Je l'aimais, de Zabou Breitman, adapté du roman d'Anna Gavalda à propos d'une jeune femme abandonnée par son mari, qui trouve réconfort auprès de son beau-père (Daniel Auteuil).

Et ainsi va Marie-Josée Croze, épanouie, dans cette carrière internationale qu'elle a choisie et qui l'a choisie, d'un pas sûr, pour la durée, des projets plein la tête, avec pour la forme un petit pied de nez à ceux qui, au Québec, n'ont pas cru en elle. L'ironie, c'est que c'est un peu grâce à eux si elle en est là.

Le goût des autres

Un mot sur la chronique de mon collègue Marc-André Lussier, qui commençait hier par cette citation de Denys Arcand (tirée d'un livre d'Hélène de Billy) : «Imagine-t-on les journalistes français évoquer ce que La Presse ou Voir a pensé d'un film de Claude Miller? Non, les Français ne se préoccupent pas du goût des autres. Ils font le goût. Les Américains pareillement. Nous, on s'en préoccupe. Pire, on est obsédés par le regard d'autrui.»

Il y a du vrai dans ce que dit Denys Arcand. Les médias québécois aiment faire état des succès et des échecs des artistes québécois en France. Comme un journal de Sydney s'intéresse à la carrière d'une vedette australienne à Hollywood. C'est une question de rapports de force, pure et simple.

Qu'on le veuille ou pas, la France reste une référence culturelle importante pour le Québec, voire un objectif à atteindre pour un artiste qui rêve de rayonnement international. Il y a dans ce rapport à l'ex-métropole une part du complexe d'infériorité québécois, qu'on aurait tort de nier. Les Français et les Américains souffrent du complexe inverse. Est-ce mieux?

Je ne peux m'empêcher de penser qu'Arcand fait aussi référence à l'accueil, glacial, réservé d'abord en France, ensuite au Québec, à L'âge des ténèbres. Il se trouve que pour des raisons obscures de distribution, le film a pris l'affiche en France avant le Québec. Et que l'écho du désastre s'est forcément rendu jusqu'ici. Est-ce parce que la presse française a quasi unanimement détesté L'âge des ténèbres que la presse québécoise en a dit sensiblement la même chose? Non. C'est parce qu'au Québec aussi, on a des yeux et des oreilles.