Le pouce en l'air ou le pouce en bas? Quand Gene Siskel, critique du Chicago Tribune, et Roger Ebert, critique du concurrent Chicago Sun Times, ont lancé l'émission Sneak Previews en 1975 sur les ondes de WTTW à Chicago, une station affiliée à la chaîne publique PBS, ils ont, d'une certaine façon, révolutionné la façon dont on parlait de cinéma - et de culture - à la télévision.

Leurs discussions à bâtons rompus sur les nouveautés de la semaine ont fait école tellement leur formule était simple: deux chroniqueurs s'installent au balcon d'une salle et débattent des plus récentes productions cinématographiques sur le ton de la conversation sportive. Un genre de 110 % à deux voix, livré par deux critiques au bagage solide, aussi renseignés que passionnés. C'était tout simple.

Le succès fut tel que leur concept a ensuite engendré de nombreux ersatz, sans ne jamais toutefois égaler l'original. Jeffrey Lyons, Michael Medved, Neil Gabler, Rex Reed, Dixie Whitley et quelques autres, qui ont tous participé à ce genre d'émissions, n'ont en effet jamais pu s'imposer.

Chez nous, la formule a été adaptée dans les années 80 avec René Homier-Roy. Chantal Jolis lui a donné la réplique dans un premier temps, puis, ma collègue Nathalie Petrowski. Il subsiste aujourd'hui d'À première vue une parodie mémorable de RBO. Ah! Revoir l'extrait de ce film érotico-japonais L'emprise des doigts! Ou celui de ce drame psycho-hongrois sans titre avec Pietr Aktor, cet «acteur dont on se fout éperdument»...

Cette semaine, Richard Roeper, qui s'est installé dans le fauteuil de Siskel après la mort de ce dernier en 1999, annonçait qu'il ne renouvelait pas son contrat. Le lendemain, Ebert, absent de la télé depuis deux ans en raison de la maladie, rompait tous ses liens avec At the Movies with Ebert&Roeper, déclarant du même souffle ne pas souscrire à la nouvelle direction que compte prendre la société productrice, Disney-ABC Domestic Television, pour rafraîchir la formule.

Semble-t-il qu'on rêve d'une émission plus «dynamique», animée par Ben Lyons (le fils du chroniqueur new-yorkais Jeffrey Lyons) et Ben Mankiewicz, deux types dont la crédibilité reste encore à établir. Roger Ebert, qui possède une marque déposée sur son pouce droit (si, si!), ira ainsi le pointer ailleurs, on ne sait où pour l'instant, ni avec qui.

Même si les cotes d'écoute avaient chuté assez dramatiquement depuis son absence, il reste que cette émission, placée n'importe comment dans la grille-horaire, attirait encore, même sans lui, 2,4 millions de cinéphiles chaque semaine. Chez nous, At the Movies with Ebert&Roeper est diffusé dans la nuit du dimanche au lundi à CTV. L'émission fait aussi partie de la programmation de la station ABC à Burlington, qui la diffuse quand bon lui semble. Ces temps-ci, c'est le samedi à 18 h 30.

Vous direz qu'il est parfaitement normal qu'un concept s'essouffle au bout de 33 ans d'existence. Bien sûr. Sauf que cette décision éditoriale - il est clair que le retrait du tandem Ebert&Roeper fait bien l'affaire des producteurs - enfonce encore un peu plus le clou de la critique «personnalisée».

«L'arrivée de l'internet a changé la donne, déclarait cette semaine Chris Barsanti, journaliste sénior du site web filmcritic.com. Les gens veulent avoir une idée de la direction qu'emprunte l'ensemble de la critique sur un film, et pas seulement l'opinion de quelques individus. Sur ce plan, la presse écrite et la télé ne peuvent pas livrer compétition au web.»

Autrement dit, l'argumentaire ne tient plus, seule compte désormais la cote qui en découle. The Dark Knight a récolté 95 % de critiques favorables, nous apprend Rottentomatoes.com, un site qui recense notamment les humeurs de la critique, peu importe sa nature ou la notoriété des signataires. Youppi.

Peut-être ne suis-je pas tout à fait objectif dans ce débat (en fait, je ne le suis pas du tout), mais j'ai du mal à croire que quelqu'un qui s'intéresse vraiment au cinéma ne soit plus du tout intéressé à lire ou à entendre des chroniqueurs avec qui il a partagé une communauté d'esprit au fil des ans. Des gens comme Luc Perreault, Georges Privet, René Homier-Roy, Roger Ebert, Janet Maslin, A.O. Scott et tant d'autres feront pour toujours partie de ma vie personnelle de cinéphile. Cela dit, la disparition de l'émission sur laquelle Roger Ebert avait encore une autorité morale annonce clairement la fin d'une époque.

Le déclin (1)

Reçu cette semaine, un message d'un collègue de Vancouver à propos du festival de cinéma qui se tient là-bas fin septembre. Un événement formidable, soit dit en passant, pour lequel j'avais eu l'insigne honneur de faire partie du jury il y a cinq ans.

«Considérant sa croissance, on pose la question suivante: le Festival de Vancouver est-il maintenant devenu le deuxième festival en importance au Canada?» La réponse ne relève pas de l'évidence. Le FFM compte encore plus de primeurs que Vancouver. En revanche, Vancouver attire un public très dynamique qui a de surcroît la très belle qualité de se renouveler. Et que dire de sa fenêtre ouverte sur le cinéma asiatique? Je ne sais pas, cher collègue. Il fut une époque où le FFM devançait même le Festival de Toronto, aujourd'hui le leader incontestable. Tomber en 3e position maintenant? Ouch!

Le déclin (2)

Reçu mardi 22 juillet à 10 h 26 sur mon Blackberry, un message «breaking news» du journal Variety: «Christian Bale est arrêté à Londres!». Le courriel - envoyé beaucoup trop précipitamment en regard de la réalité (aucune accusation n'a été portée) - ne vient ni de TMZ, ni de Star Système, ni du US Magazine, ni du National Enquirer. Il provient d'une institution respectée depuis 103 ans, aujourd'hui véritable bible de l'industrie du cinéma et de la télévision. Monsieur Silverman, le fondateur du journal, doit se retourner dans sa tombe.