En santé ou pas en santé, le cinéma québécois? La question obsède les médias depuis quelques années déjà. Mais pendant que l'on regarde à la loupe les courbes du box-office, les parts de marché et les taux de pénétration du cinéma québécois, un fait demeure: notre cinéma n'existe pas à l'étranger.

Denis Côté l'a rappelé jeudi midi au micro de Jacques Beauchamp, à la Première Chaîne de Radio-Canada. Le cinéaste revient de Locarno, où il a remporté le prix de la mise en scène pour Elle veut le chaos (toutes nos félicitations). Depuis qu'il sillonne les festivals internationaux avec ses films, Côté se fait constamment poser la même question: où sont les cinéastes québécois?

Pas à Cannes, en tout cas. Cette année, seul Denis Villeneuve (avec son court métrage Next Floor) a trouvé une place au soleil sur la Croisette. Pas un cinéaste québécois en compétition à la Quinzaine des réalisateurs, à la Semaine de la critique ou dans la section Un Certain regard.

Où sont les cinéastes québécois? «Right here in Québec.» Je ne trahis aucun secret d'État en affirmant que le cinéma québécois ne suscite aucun engouement hors de nos frontières. Ni chez le voisin canadien ni même dans la francophonie. Et ce n'est pas en exportant des comédies populaires du type Les 3 p'tits cochons (qui a fait chou blanc en France) que l'on va y changer quoi que ce soit.

Il y a bien sûr quelques exceptions qui confirment la règle. L'exception par excellence étant Les invasions barbares. On a surtout retenu que le film de Denys Arcand avait reçu l'Oscar du meilleur film étranger. On se souvient aussi du prix d'interprétation féminine de Marie-Josée Croze à Cannes, un peu moins du prix du meilleur scénario. Mais on a pratiquement oublié le plus grand fait d'armes de Denys Arcand. En 2004, Les invasions barbares lui a valu les Césars du meilleur film, du meilleur scénario et du meilleur réalisateur. Le meilleur film français de l'année était québécois. Ce n'est pas rien.

Ce n'est pas rien, mais ça reste une exception. Pour mesurer le rayonnement à l'étranger du cinéma québécois, on en est malheureusement réduit au cas par cas. Est-ce grave, docteur? Oui, c'est grave. Le rayonnement de notre culture est ce qui nous définit partout dans le monde. Un concept tout simple que ne semble pas avoir compris le gouvernement Harper.

Comment donner le goût à un Coréen ou un Argentin de découvrir un film québécois s'il ne connaît pas le cinéma québécois? Comment susciter de l'intérêt pour le cinéma québécois dans les festivals internationaux si notre cinématographie n'a aucune réputation, et en conséquence aucune force de persuasion?

Ce qui est grave, c'est que nombre de Français, de Belges ou de Suisses qui pourraient être intéressés par Tout est parfait, le meilleur film québécois depuis longtemps, rateront sa sortie à l'automne parce qu'ils n'ont pas été habitués, pas été sensibilisés au cinéma québécois depuis plusieurs années.

Le problème se pose de la même manière pour le cinéma français au Québec, comme l'a souvent souligné mon collègue Marc-André Lussier. Si le cinéma français ne trouve pas son public au Québec, imaginez le cinéma québécois en France...

Ce ne sont pourtant pas les bons films québécois qui manquent. Il reste que le défi n'est pas seulement de changer la perception du cinéma québécois à l'étranger, mais de faire la preuve de son existence. C'est possible. Plusieurs cinéphiles ont découvert récemment le cinéma roumain, après le succès de 4 mois, 3 semaines et 2 jours. Le cinéma mexicain fait belle figure sur l'échiquier mondial depuis quelques années seulement. Le cinéma allemand a le vent en poupe. Pourquoi pas le cinéma québécois?

Une partie de la réponse se trouve évidemment dans la distribution et la représentation à l'étranger, notamment dans les différents festivals (un autre concept qui échappe au gouvernement Harper). Mais une autre partie concerne à mon avis le manque d'audace du cinéma québécois, qui se complaît trop souvent dans le consensuel. Il faut oser faire des films qui ne plairont pas à tout le monde, qui innoveront tant d'un point de vue technique qu'artistique, qui sortiront du moule préfabriqué que l'industrie s'est créé en croyant à tort qu'il garantissait le succès. Au cinéma comme dans tout, qui ne risque rien n'existe pas.

Un bon Banquet

J'ai vu plusieurs films québécois au cours des dernières semaines. Certains de bonne tenue comme ce Truffe, de Kim Nguyen, film de genre aux accents de Lynch ou de Jeunet-Caro. Un exercice de style référentiel, à fond dans la série B, qui fait sourire. En prenant des risques, tiens.

J'ai en particulier été séduit cette semaine par Le banquet, troisième film de Sébastien Rose, chassé-croisé tendu dans le monde universitaire. Bien joué, bien réalisé, bien monté, toujours sur le fil du rasoir, évitant la plupart des clichés propres à ce genre d'entreprise. On est davantage dans le cinéma conventionnel, mais avec une façon de faire et un propos bien québécois.

Le banquet est un film à thèse, dynamique, efficace, habilement mené, qui se veut à la fois une critique du «modèle québécois» (marque déposée) et un hommage à la mémoire, entre autres du cinéma québécois. Un film dur, étonnant, émouvant, qui s'avère une très belle prise du Festival des films du monde, où il sera présenté en primeur mardi avant de prendre l'affiche vendredi prochain.