Au moins, ce sera utile. Ce qu’il faut pour vivre n’a pas reçu l’honneur suprême mais il pourra quand même bénéficier du petit coup de pouce que lui donnent les trois récompenses obtenues hier (outre le Grand Prix spécial du jury, le très beau film de Benoît Pilon a reçu deux prix du public). Le palmarès du FFM n’ayant plus beaucoup de résonance sur la planète cinéma, tant mieux si Okuribito (Départs) et Ce qu’il faut pour vivre trouvent leur public dans leur pays d’origine.

Que restera-t-il de ce 32e FFM? Peu de chose. Sinon qu’il passera probablement à l’histoire comme étant celui où les fractures n’ont jamais été aussi apparentes. Entre les deux pôles géographiques d’abord. Il y a désormais un FFM un peu plus animé au Quartier latin, lequel, certains soirs, rappelle même parfois – je dis bien parfois – l’atmosphère qui régnait jadis au Parisien. Et puis il y a l’autre, carrément sinistre, qui se déroule au Cinéma Impérial, au Théâtre Maisonneuve, et au complexe Desjardins, lieux de présentation des films en compétition et d’événements publics très peu courus, sinon pas du tout. Bill Pullman a même dû rebrousser chemin parce que personne ne s’est présenté à la conférence de presse de Your Name Here. C’est vrai que nous avions vu le film juste avant...

Fracture aussi chez le public. Dans la mesure où les spectateurs adoptent clairement un endroit plutôt qu’un autre. Et les deux groupes se croisent rarement. Cela dit, tant du côté de ceux qui fréquentent le Quartier latin que de ceux qui se tiennent à l’Impérial, les fidèles du FFM sont prêts à tout pardonner plutôt que de voir leur festival chéri disparaître.

Tout le monde s’entend toutefois pour dire que le FFM, de nouveau financé à pleine hauteur par les institutions, a connu de nombreux ratés cette année. Au-delà de la faible qualité de la compétition officielle du «seul festival de catégorie A en Amérique du Nord», ce festival n’a strictement plus rien d’un événement de catégorie supérieure.

De graves problèmes

Même avec la meilleure volonté du monde, impossible de passer sous silence cette incapacité chronique à renouveler son public (la piètre qualité de son site internet y est pour quelque chose), ni la faible représentation professionnelle et médiatique, pas plus que l’absence d’invités de marque. Bien sûr, il y eut Isabelle Huppert. Bien sûr Tony Curtis et Alan Ladd, Jr s’y sont pointés. À l’évidence, un festival n’est pas non plus à l’abri d’une rage de dents inattendue, comme celle qui justifie officiellement l’absence de Brian De Palma, pressenti pour une classe de maître. Barbara Sukowa (Lola, Europa), actrice d’exception (lauréate du prix d’interprétation), est aussi venue faire un tour en ville. Seul problème: personne n’a été avisé de sa présence!

Mais il y a bien plus grave. Outre une programmation fourre-tout dans laquelle on cherche en vain une ligne directrice, il y a le problème de la «non-accessibilité» d’une majorité de films au public francophone.

Sur les 227 longs métrages répertoriés dans le programme, seuls 89 étaient présentés en français ou avec des sous-titres français. C’est inacceptable. Soustrayez les 20 films de la compétition, qui bénéficient tous du sous-titrage électronique (encore là, le système a eu des ratés), et les films de répertoire présentés sous les étoiles, et vous atteignez alors un score encore plus désastreux.

Comment, par exemple, justifier l’absence de sous-titres en français pour un film comme Maradona by Kusturica alors que plusieurs copies ont circulé en France lors de la carrière en salle du film là-bas il y a un peu plus de deux mois? Et que dire, parmi ces films uniquement destinés à nos amis anglos, de cette bonne proportion de productions venues du Canada? C’est carrément insultant. Oserait-on imaginer la présentation d’un film québécois sans sous-titres anglais au Festival de Toronto? Bien sûr que non.

On nous répondra – comme toujours – qu’un sous-titrage dans la première langue du Comité international olympique, dont le rayonnement est si cher à Serge Losique, entraîne des coûts trop élevés. M’en fous. Arrangez-vous. Aux dernières nouvelles, il y avait encore deux langues officielles dans ce pays. Que les instances gouvernementales fassent leur part. Et si ce n’est pas assez, que les festivals de cinéma québécois se tiennent debout en refusant de programmer toute production canadienne anglophone non dotée de sous-titres en français. Il s’agit d’une simple question de respect.

Il faut redresser la barre

Au terme de ce 32e FFM, il est en tout cas clair que cet événement se trouve, une fois de plus, à la croisée des chemins. Soutenu par les institutions publiques, qui lui octroient de nouveau d’importantes sommes, le FFM a besoin de radicalement redresser la barre s’il veut faire en sorte que sa mascotte – le gros chat myope qu’on voit sur la somptueuse affiche – retombe sur ses pattes. Mais qui aura le courage de le lui donner?