Chaque fois qu'un festival de cinéma s'apprête à commencer (le 37e FNC s'ouvre mercredi), j'ai une bonne pensée pour Minou Petrowski.

Pendant tant d'années, aussi bien à Cannes qu'à Berlin ou à Montréal, elle fut notre antenne, tenant à partager ses évocations impressionnistes à travers les ondes radiophoniques de la chaîne publique. Et nous avions alors l'impression d'y être un peu. Avec elle.

Minou est une légende dans le milieu du cinéma. Ici comme ailleurs, tout le monde la connaît. La reconnaît. Nous nous sommes évidemment croisés au fil des ans, partageant parfois le même enthousiasme pour des films ou leurs artisans, mais Minou pouvait surtout me compter, comme bien des cinéphiles, au nombre de ses auditeurs.

 

À ma première année à Cannes, j'ai quand même pu profiter des places qu'elle réservait parfois à ses côtés pour ses collègues compatriotes qui se pointaient à la projection du matin. À l'époque des grandes années du FFM, j'enviais par ailleurs aussi un peu l'appareillage radio-canadien dont elle disposait pour diffuser ses émissions du foyer du Méridien (aujourd'hui le Hyatt) alors que nous, à CIBL, étions relégués dans un obscur couloir du complexe Desjardins avec notre console soviétique...

Depuis sa retraite des ondes, la maman de Nathalie et de Boris s'est cloîtrée dans le silence de la figuration. Pour survivre sur le plan financier. Cette femme de paroles, dont les mots empruntent parfois la démesure de ses élans passionnels, s'est ainsi tue le jour pendant cinq ans pour partir le soir à la trace de sa vie peu banale et coucher ses mémoires sur papier.

Prends-moi dans tes bras, le titre de son autobiographie *, est le récit d'une fillette âgée de 76 ans en quête d'affection, coincée toute une vie durant dans le cycle de la honte et de l'abandon.

Je me méfie toujours un peu des récits autobiographiques, souvent conçus pour mettre de l'avant une cause ou pour témoigner d'une «leçon de vie». Là, c'est différent. Parce que la vie de Minou serait digne d'un roman si elle n'était pas ancrée dans une réalité aussi authentique, aussi douloureuse.

On connaît bien entendu le personnage médiatique. On ne sait en revanche rien de cette femme. Rien non plus de celle qui avait 24 ans lorsque fut prise la photo ornant la couverture d'un bouquin dans lequel elle affirme d'entrée de jeu être morte à l'âge de 6 ans. C'est à cet âge tendre que la petite Minou a en effet appris par hasard qu'une pension était versée pour son éducation et qu'en vérité, ses véritables parents l'avaient abandonnée aux propriétaires de la clinique médicale où elle a grandi à Nice.

Née «sous X», toujours en délicatesse avec des origines dont elle mettra une vie à décortiquer la véritable nature, la petite fille «chiante» traversera le siècle à grandes enjambées, ne s'économisant jamais, toujours à l'affût d'êtres qui pourront lui renvoyer une part d'elle-même. Les pages consacrées au parcours professionnel de cette femme de lettres, de radio et de télévision sont à cet égard aussi intimement révélatrices que celles relatant ses amours exaltées.

Avec Minou, tout est lié. L'amour, le travail, la quête existentielle, tout. Ses entrevues, au cours desquelles elle cherchait souvent à établir un rapport affectif avec les artistes, se posaient comme autant de questionnements à travers lesquels, sous le regard bienveillant de ses interlocuteurs, elle tentait de débusquer ses propres blessures intérieures. Pas pour rien que certains cinéastes, acteurs ou actrices ont établi des liens aussi privilégiés avec elle.

Il faut en tout cas un sacré courage pour se livrer à une telle introspection, sans gommer les épisodes un peu moins édifiants.

La pauvreté, l'insalubrité, le doute permanent, la passion amoureuse, le rejet, l'humiliation, le secret, Minou connaît tout cela. Et si, à 76 ans, elle est toujours en quête d'affection, la fillette - celle qu'elle est encore - est néanmoins devenue, aujourd'hui, totalement libre. C'est le plus bel aspect de ce parcours exceptionnel.

Bon cinéma, Minou.
_____________________________________________________________
* VLB éditeur, 332 pages.