Le gouvernement conservateur aura mis sept mois à se rendre à l'évidence. Sept mois à accepter ce que tous les observateurs de la chose culturelle, tous les juristes préoccupés par la défense de la liberté d'expression et tous ses adversaires politiques ont compris d'emblée.

Le projet de loi C-10, en ce qui concerne le financement de la télévision et du cinéma, était inutile, superflu, superfétatoire. Pis encore, il était dangereux. Ça, les conservateurs ne le reconnaîtront jamais, d'autant plus qu'ils n'en sont sans doute pas convaincus.

 

Ce qui est dangereux pour les uns ne l'est pas pour les autres. La censure des uns peut être perçue comme la bonne gouvernance des autres. Ce qui est jugé «contraire à l'ordre public» par la ministre inexpérimentée d'un gouvernement acoquiné à la droite religieuse peut être tout à fait acceptable pour un citoyen ouvert d'esprit.

C'est pour ces multiples raisons que le projet de loi C-10 est mort de sa belle mort, hier, noyé dans la plateforme électorale conservatrice. Amen. Que Dieu ait son âme. Et tant pis pour Charles McVety, le pasteur évangélique chrétien homophobe qui se targuait d'en être le Créateur.

Le recul de Stephen Harper tombe sous le sens. Une des dispositions du projet de loi prévoyait un pouvoir discrétionnaire au ministre du Patrimoine, lui permettant de retirer, même rétroactivement, des crédits d'impôts à une oeuvre jugée «contraire à l'ordre public».

Empêcher une production d'obtenir le financement public auquel elle a droit, sous prétexte de considérations morales et idéologiques, selon le jugement arbitraire et discrétionnaire d'un ministre, c'est ce que l'on appelle, dans le langage courant, de la censure. Sept mois plus tard, je ne suis pas convaincu que Josée Verner l'a encore compris.

Depuis que les médias ont été alertés, en mars dernier, par cette disposition lourde de sens, dissimulée dans un projet de loi fiscal de 600 pages, la ministre a multiplié les déclarations équivoques sur sa nature.

Début avril, lors de sa comparution devant le comité sénatorial examinant le projet de loi C-10, Josée Verner a déclaré que celui-ci visait à exclure du financement fédéral la représentation à l'écran d'actes criminels tels que la propagande haineuse et la pornographie juvénile. Or, ces actes sont déjà exclus explicitement par le règlement qui concerne l'octroi de crédits d'impôt et, excusez du peu, par le Code criminel.

À quoi pouvait donc bien servir le projet de loi C-10, sinon permettre à la ministre de faire directement ce qu'elle ne peut faire indirectement, à savoir interdire le financement d'oeuvres que son gouvernement, soutenu par des lobbys de droite, considère «offensantes» pour la population canadienne?

Aujourd'hui, le gouvernement Harper fait volte-face. Sans pour autant sauver la face. Et sans bien sûr s'excuser. Ce serait trop lui demander. Sans surprise, Stephen Harper a renvoyé hier la balle dans le camp des libéraux: «Ce sont des propositions originalement du PLC...»

On soulignera avec raison l'opportunisme politique de ce geste, à une semaine de l'échéance électorale. Il s'agit aussi, à mon avis, d'une tentative désespérée du gouvernement de se défaire, dans la foulée du débat sur les coupes dans les programmes culturels, et alors que son étoile pâlit, d'une étiquette largement méritée de censeur de la culture.

Les conservateurs ont voulu interdire par le projet de loi C-10 le financement d'oeuvres qu'ils jugent «offensantes»: le film (pas du tout pornographique) Young People Fucking, par exemple. Ils ont ensuite coupé les vivres à des artistes qu'ils jugent, tiens donc, «offensants», comme le groupe rock indépendant Holy Fuck. On ne pourra reprocher aux conservateurs de ne pas avoir de suite dans les idées.

Malheureusement, ce n'est pas parce qu'il a enfin compris que la censure est inacceptable dans une société libre et démocratique que le gouvernement Harper a renoncé au projet de loi C-10, hier. C'est surtout parce qu'il a compris que trop peu d'électeurs étaient dupes de ses manoeuvres populistes, visant à conforter sa base ultra-conservatrice.

Aura-t-il réussi, ce faisant, à faire oublier ses tentatives répétées de censure? À mon avis, c'est trop peu trop tard.