Le film commence par le meurtre du cinéaste Théo Van Gogh aux Pays-Bas par un intégriste musulman. Un quotidien de centre-droit danois s'en inspire en septembre 2005 pour lancer un concours de caricatures sur le thème des «visages de Mahomet».

Sur le coup, note le documentariste Daniel Leconte, il y a peu de réactions. Mais bientôt, le monde musulman s'embrase. La représentation du Prophète est interdite par le Coran, prétendent certains exégètes. L'affaire des caricatures est lancée. Et prend des proportions inquiétantes.

Selon le quotidien algérien El-Watan, il n'y a pas 12, mais bien 13 caricatures. Celles publiées par le journal Jyllands-Posten, et une 13e, «dessinée» par des musulmans qui brûlent des drapeaux danois dans les rues.

Six journalistes, d'Algérie, de Jordanie et du Yémen, seront emprisonnés pour avoir publié les caricatures controversées. Ce n'est pas à leur sort que s'intéresse C'est dur d'être aimé par des cons, le film de Daniel Leconte à l'affiche depuis cette semaine (voir notre critique en page 8), mais à ses amis de l'hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo.

D'autres ont reproduit les caricatures danoises dans l'Hexagone: le quotidien France Soir, dont le rédacteur en chef a été renvoyé sur-le-champ, et l'hebdomadaire L'Express, dont le directeur a démissionné après, dit-il, avoir subi des pressions de la classe politique et financière. Mais seul Charlie Hebdo a fait les frais d'une procédure judiciaire.

C'est ce procès passionnant que relate Daniel Leconte, avec force détails et un parti pris clairement affiché pour Charlie Hebdo. Le cinéaste, un ami personnel du directeur de la rédaction et éditorialiste Philippe Val, a même témoigné en faveur du journal devant le tribunal.

Le documentaire de Leconte, résolument engagé, voire complaisant, n'en est pas moins intéressant. Il présente la genèse de l'affaire et décortique les deux jours d'audience, les jeux de coulisse, les pressions sur les témoins, les tensions et les joutes verbales de la salle des pas perdus du palais de justice de Paris (le documentariste n'a pu bien sûr avoir un accès direct au tribunal).

Le film s'intéresse surtout au débat de société fondamental suscité par ce procès sur les limites de la liberté d'expression. Les stratégies des avocats des deux camps, les esprits qui s'échauffent en marge de l'affaire, sa récupération par l'humoriste Dieudonné, dont «l'appui» à Charlie Hebdo s'exprime en des termes assez équivoques.

Le documentaire met aussi en lumière les pressions politiques, françaises et étrangères, et les alliances commerciales stratégiques entourant la «crise des caricatures» en France. En pleine campagne présidentielle (le procès a eu lieu en 2007), les politiques se mêlent volontiers du débat. François Bayrou et François Hollande témoignent en faveur de Charlie Hebdo.

Ségolène Royal, d'un texto très discret, et Nicolas Sarkozy, de manière inattendue, offrent aussi leur appui à l'équipe de Philippe Val.

Au coeur du litige, deux des caricatures danoises, ainsi que celle, publiée à la une de Charlie Hebdo, présentant Mahomet, effondré, qui déclare: «C'est dur d'être aimé par des cons.» La phrase «Mahomet débordé par les intégristes», partie intégrante de cette caricature de Cabu, illustre clairement que «les cons» désignés par le journal sont les intégristes, et non pas l'ensemble des musulmans, comme le prétend la partie plaignante, formée de différentes associations musulmanes.

L'un des avocats du journal satirique démontre d'ailleurs clairement, pendant le procès, que les musulmans ont, de tout temps, beaucoup moins fait les frais des caricaturistes et journalistes de Charlie Hebdo que les chrétiens. Un éditorial de Philippe Val, publié avant la venue du pape Benoît XVI à Paris, est par exemple signé «Bienvenue au pape de merde!».

«L'islam serait la seule religion que l'on ne peut caricaturer? C'est ça la discrimination», dit-il.
Au final, un «happy end» pour Charlie Hebdo: le tribunal rejette la requête des plaignants et donne raison aux satiristes. La démonstration, convaincante et efficace de Daniel Leconte, des motifs de cette décision laisse très peu de place au doute (trop peu?).

Le procès n'est pas sans répercussions. Philippe Val a été menacé de mort. Jean Cabu a dû être protégé par des policiers. Aussi, Charlie Hebdo, dans la foulée, a été «aimé par des cons». On n'y échappe pas. Jean-Marie Le Pen a offert au journal son appui moral, à l'instar d'une quantité d'islamophobes de différents horizons.

Peut-on être tenu responsable des excès de ceux qui partagent notre avis sur une question bien précise? Le film de Daniel Leconte ne pose pas directement la question. Ce n'est pas parce qu'on défend la liberté d'expression, et dans ce cas précis la liberté de se moquer des intégrismes religieux, quels qu'ils soient, que l'on cautionne les racistes qui se réclament de notre camp, peu importe leurs motivations.

C'est dur d'être aimé par des cons, qui a pris l'affiche en France le mois dernier après sa présentation au Festival de Cannes, n'aborde d'aucune façon l'affaire Siné, qui a ébranlé Charlie Hebdo l'été dernier.

À la suite de la publication, début juillet, d'une caricature de Siné laissant entendre qu'un fils Sarkozy (Jean) était prêt à se convertir au judaïsme pour toucher à la fortune d'une riche héritière juive (Jessica Darty), le caricaturiste de la vielle garde et provocateur né a été remercié par Philippe Val pour antisémitisme.

De nombreux intellectuels et confrères caricaturistes ont crié à la censure. D'autres ont estimé que Siné était allé trop loin en refusant de lever l'ambiguïté sur ses propos.

Antisémitisme ou censure? Y a-t-il un paradoxe entre la défense de la liberté d'expression de Charlie Hebdo dans le procès des caricatures et le renvoi pour ses opinions d'un de ses caricaturistes?

Quel excellent sujet de documentaire...