Au lendemain de l'élection présidentielle, une projection de presse figurait à mon programme. L'affiche de W., toujours accrochée à l'entrée de la salle où je me rendais, m'a du coup semblé bien dérisoire. Tout comme tant de mes contemporains, j'avais le sentiment que le monde avait subitement basculé la veille dans une autre ère, une autre époque.

«Notre long cauchemar est terminé, a écrit l'influent critique Roger Ebert sur son blogue. De nouveau, nos idéaux parleront plus fort que nos armes.» En écoutant, la gorge serrée, le discours sobre et inspirant de Barack Obama, ponctué d'incantations - «Yes we can» - reprises par une planète en communion, je n'ai pu m'empêcher de me reporter un peu plus de cinq ans en arrière, au Festival de Berlin.

Cette année-là, la Berlinale avait lieu juste au moment où Colin Powell tentait maladroitement de défendre l'indéfendable politique de son patron devant le Conseil de sécurité de l'ONU. Partout dans le monde, les gens descendaient dans les rues pour protester contre l'imminence d'une intervention américaine en Irak. Dans la capitale allemande, nous étions 500 000.

Venu présenter 25th Hour, Spike Lee disait avoir honte d'être Américain. Et reprenait à son compte les propos d'Edward Norton, tête d'affiche du film, qui affirmait de son côté ne plus savoir à quoi peut ressembler un sentiment de fierté nationale. Il disait aussi envier à cet égard les Français et les Allemands, capables de tenir tête à Washington.

Parmi les vedettes hollywoodiennes présentes au Festival cette année-là, Norton et Lee ont pratiquement été les seuls à prendre position. Même pressés de questions, les autres ont préféré exercer un droit de réserve qui, dans les circonstances, se révélait presque insultant aux yeux de la presse internationale. À part Sean Penn, Michael Moore et quelques autres, rares étaient les artistes américains qui osaient afficher leur dissidence à cette époque.

Que de changement en cinq ans. Que dis-je, en une soirée!

J'ai entendu Spike Lee en entrevue au réseau MSNBC mercredi. Le cinéaste ne se possède plus tellement l'élection de Barack Obama le comble de joie. «Je me sens heureux d'être un Américain aujourd'hui; heureux d'être un citoyen du monde aussi. L'humanité a fait un grand pas!» Le réalisateur de Do the Right Thing est même allé jusqu'à évoquer l'arrivée d'un nouveau Messie.

«Il faudra dorénavant parler de l'avant et de l'après-Obama!» a-t-il dit, ajoutant du même souffle que l'arrivée au pouvoir du nouveau président signifie la venue d'un gouvernement plus en phase avec la réalité d'une Amérique plurielle.

On le sait, les relations entre Hollywood et Washington sont généralement plus tendues quand le Parti républicain est au pouvoir. Cette déchirure entre les valeurs «libérales» prisées par les artistes, et celles que mettent généralement de l'avant les tenants de la droite, n'a jamais été aussi flagrante que pendant le règne de George W. Bush. Il y a bien quelques artistes plus conservateurs qui sortent du placard de temps à autre (le pauvre Jon Voight doit être bien malheureux aujourd'hui!), mais il est notoire que cinéastes, acteurs et artisans sont en majorité d'allégeance démocrate.

Est-ce à dire que l'arrivée d'Obama au pouvoir aura un impact direct sur les créateurs et, par ricochet, sur les oeuvres qu'ils produiront? Cela reste à voir. Dans une démocratie, les artistes jouent un rôle fondamental. Ils doivent aller au-delà des idées reçues, débusquer ce qui se cache parfois derrière un discours officiel, traquer la vérité pour en révéler au monde une facette inédite.

Ils doivent aussi être conscients du fait qu'ils peuvent souvent être récupérés au gré des forces du courant. N'oublions pas que l'usine à rêves a mis en chantier plusieurs films qui s'inscrivaient dans «l'effort de guerre» suggéré par les dirigeants du pays avant d'en produire d'autres, plus critiques, quand il est devenu de meilleur ton de le faire.

On ne sait pas combien de temps durera la lune de miel. Avec l'élection d'un président intelligent, cultivé, sensible et plus ouvert d'esprit, les artistes savent pourtant qu'ils ont désormais un allié à la Maison-Blanche. Ça change.