Avant que les Américains n'élisent un président noir, ils ont aimé un président noir. Dennis Haysbert a incarné pendant cinq saisons le premier président noir de l'histoire des États-Unis, David Palmer, dans la télésérie 24.
Les Américains ont aussi pleuré leur président noir. David Palmer a été assassiné dans la saison 5 de 24 heures chrono. Son personnage était fait du même bois d'ébène, franc, élégant et droit que Barack Obama.
La présence à la télévision et au cinéma (Morgan Freeman dans Deep Impact) de présidents noirs intègres, courageux et responsables a-t-elle d'une certaine façon préparé les Américains à l'élection de Barack Obama?
C'est l'une des thèses défendues par le réalisateur français Emilio Pacull dans le fascinant documentaire Mister President, présenté dimanche dernier à ARTV. Hollywood, selon les recherches de Pacull, est devenue une «fabrique de présidents» où la frontière entre politique réelle et politique fictive est de plus en plus ténue.
Une soixantaine de films et des dizaines d'émissions de télévision ont mis en scène un président fictif des États-Unis depuis le début des années 90. De Wag the Dog à Primary Colors, d'Air Force One à Independence Day, de The West Wing à 24.
Avec force extraits et interviews (d'historiens, journalistes, scénaristes, cinéastes et conseillers politiques), Emilio Pacull illustre l'influence de cette représentation télévisuelle et cinématographique de la figure présidentielle sur la politique américaine. Il en conclut que Hollywood détient en quelque sorte un «cinquième pouvoir» aux États-Unis: celui d'influencer l'électorat, d'intégrer certains discours dans la psyché collective (le bien et le mal, les bons et les méchants, etc.) et de faire accepter, par exemple, l'idée d'une femme (Geena Davis dans l'émission Commander in Chief) ou d'un Noir à la Maison-Blanche.
Les scénaristes des films et des émissions mettant en vedette le président américain, parfois eux-mêmes d'anciens conseillers politiques, s'inspirent de plus en plus de l'actualité pour nourrir leurs scripts. Il y a parfois une telle concomitance qu'on pourrait croire que c'est la fiction qui inspire la réalité, plutôt que le contraire.
Mister President commence et se termine notamment avec le parallèle entre la campagne fictive du candidat démocrate Matt Santos (Jimmy Smits), le premier président latino des États-Unis (dans la dernière saison de The West Wing) et celle du personnage politique qui l'a inspiré dès 2005... un certain Barack Obama.
Chicago Hope
J'étais à Grant Park, à Chicago, mardi soir, comme 225 000 autres personnes. Pour voir et entendre Barack Obama. Pour constater l'effet qu'il a sur les gens. Pour prendre une certaine mesure d'un événement singulier dans l'histoire des États-Unis. J'y suis allé de mon propre chef, en congé. Un voyage éclair de moins de 24 heures, décidé une journée à l'avance.
«Pourquoi vous intéressez-vous autant à notre élection présidentielle?» m'a demandé le douanier, dubitatif et soupçonneux de mes intentions. Je n'ai pas trop su quoi lui répondre. «Je crois qu'Obama peut changer les choses», lui ai-je dit, ou une banalité du genre.
Pourquoi Barack Obama m'a-t-il attiré à Grant Park mardi? Parce que c'est une formidable rock star, une super-vedette de cinéma, un personnage plus grand que nature qui transcende l'univers de la politique. Un personnage qui correspond, de bien des façons, et peut-être davantage que tous ses prédécesseurs, au président fictif idéalisé par Hollywood: intelligent, beau, charismatique, héroïque. Le mâle alpha dominant que décrit le documentaire d'Emilio Pacull. Une figure inspirante, symbolisant la liberté, guidant le peuple.
C'est ce personnage héroïque que des dizaines de milliers de personnes ont voulu voir en chair et en os, mardi. À Chicago, Barack Obama n'est pas un héros. C'est un superhéros. Dans son quartier de Hyde Park, j'ai vu une femme porter un t-shirt d'Obama déguisé en Superman. 
Sur Colombus Drive, j'ai vu une étudiante, le crâne à moitié rasé, le sigle d'Obama tatoué sur la tempe. J'ai vu le visage d'Obama à la une d'une série de magazines surdimensionnés, dans une vitrine de Michigan Avenue.
J'ai aussi vu quantité de jeunes, assis sur des couvertures, attendant l'arrivée d'Obama à Grant Park comme s'il s'agissait de Jimi Hendrix à Woodstock. J'ai vu deux vieilles dames, noires, s'effondrer en larmes, l'une contre l'autre, lorsque la victoire d'Obama a été confirmée. J'ai vu des gens de tous âges, de toutes origines, danser au son du blues, du rock, de la soul et même du country qui enveloppait cette nuit douce, sur la rive du lac Michigan.
J'ai été profondément ému d'entendre à mes côtés ces dizaines de milliers d'Américains répéter en choeur «Yes we can!» à un futur président qui incarne, de toute sa personne, la possibilité du rêve. «I have a dream...»
Je les ai vus, aussitôt que les grilles ont été ouvertes en début de soirée, se ruer vers la scène sur la musique de Boxer, de The National. Lorsqu'ils ont commencé à se disperser, cinq heures plus tard, après les dernières paroles de leur héros, c'était sur celles de The Rising (le «soulèvement»), de Bruce Springsteen. Une musique de circonstance pour le générique d'un film grandiose, happy end à la clé, comme l'Amérique les aime