La critique de cinéma a-t-elle un avenir? On se posait la question, lundi, dans le cadre du Festival Cinémania.

À l'occasion d'une table ronde autour du thème «critique de cinéma: extinction ou évolution?». Question darwinienne pour une discussion dans l'air du temps.

Le critique de cinéma est une espèce menacée dans les médias traditionnels. Absent de la télé, vivotant à la radio et disparaissant peu à peu du magazine et du journal, jadis son château fort.
Il y a de moins en moins de critiques de cinéma au Village Voice («ancien panthéon de la critique cinématographique»), plus qu'un seul au Toronto Star et plus du tout au Detroit Free Press, a souligné lundi l'un des participants, Liam Lacey, lui-même critique au Globe and Mail.

«Nous voyons en ce moment disparaître la fonction de critique, constate Lacey. Le cinéma avait autrefois une réelle importance dans l'ensemble des préoccupations d'un journal. Ce n'est plus le cas.»

Chez CanWest, qui publie plusieurs journaux dont The Gazette, on a tenté récemment d'imposer, sans succès, deux critiques de cinéma pour toute la chaîne, dans l'ensemble du pays. Sans se préoccuper des exceptions culturelles régionales.

«Heureusement nous sommes toujours là, mon collègue John Griffin et moi», se félicite Brendan Kelly, qui s'intéresse tout particulièrement aux films francophones pour le compte du quotidien anglo-montréalais. «J'écris pour ceux qui ne vont pas voir les films», dit-il avec humour.
Compressions budgétaires, réduction de coûts, baisse de tirage, perte de lectorat au profit de l'Internet, la presse écrite mondiale est touchée par la nouvelle donne. Vous tenez entre vos mains un objet d'une grande rareté: un cahier de quotidien consacré exclusivement au cinéma. Chérissez-le! (Mon job en dépend...)

Le travail des critiques de cinéma n'est pas seulement menacé par les difficultés économiques des médias écrits. Il l'est tout autant par le désintérêt pour le cinéma au grand écran. Seulement 9% des Américains fréquentent les salles de cinéma, s'inquiète Liam Lacey. Au Québec, la fréquentation des salles n'a cessé de diminuer depuis cinq ans.
Le phénomène est généralisé.

«Quand il n'y aura plus de poisson, il n'y aura plus de pêcheurs», croit Alain Spira, critique au magazine Paris Match, qui voit le critique comme un «éclaireur», tout en plaidant pour le simple plaisir de la lecture de la critique, «un objet intellectuel en lui-même».

Malheureusement, comme le note l'ami Marc-André Lussier, lui aussi invité à discuter de la question, «les gens ne lisent plus les critiques; ils ne s'intéressent qu'à l'impression générale laissée par l'ensemble des critiques».

À l'image de sites web comme Rotten Tomatoes, qui donne la mesure de l'appréciation globale de la critique de manière quantitative, sans s'intéresser au qualitatif. Qui a écrit quoi, où et quand? Le cinéphile moderne, comme dirait ma mère, s'en fout comme de l'an 40.

«Il n'y a pas de serment d'Hippocrate dans cette profession, rappelle Liam Lacey. Le critique professionnel est celui qui parvient à se faire payer.» En effet.

Ne plus être lu, ne plus être considéré comme pertinent, ne plus exister, voilà ce qui inquiète le critique de cinéma. Ça et l'invasion du «journalisme citoyen». «La concurrence de la critique se fait désormais avec le public. C'est ça qui dérange les critiques», estime un cinéphile qui assistait au débat lundi. Il n'a pas tort.

Le paradoxe de la menace de l'extinction de la critique de cinéma dans les médias traditionnels est la prolifération de la critique de cinéma sur le web. Combien de sites, du plus amateur au plus professionnel, publient des avis plus ou moins éclairés sur des films? Des milliers? Des centaines de milliers?

La multiplication des sources d'information disponibles aux cinéphiles a certainement eu pour effet favorable de démocratiser la critique. Mais cette «évolution» de la critique se fait parfois au détriment de la qualité de l'argumentaire. On trouve de tout sur le web (même des amis). Du meilleur au pire, comme dans la plupart des médias traditionnels, mais à la puissance 10.

Parmi les effets pervers de l'explosion de la «critique» sur le web se trouve la disparition de la distinction nette entre promotion et journalisme. On pourrait dire la même chose de bien des «critiques» de médias électroniques, tellement leur enthousiasme est parfois suspect.
Comment savoir si ce qui est écrit sur le web provient d'une source journalistique crédible et non pas, par exemple, d'un studio qui explore de nouvelles avenues promotionnelles? Cela s'est malheureusement déjà vu...

«Au battage publicitaire, le critique oppose une voix contradictoire, faite de légères objections, dans le cadre d'une perspective plus culturelle», résume Liam Lacey.

Le critique digne de ce nom n'a pas comme fonction de promouvoir un film, même s'il peut le faire involontairement. Le critique n'est pas un rouage de la machine publicitaire. C'est ce qui fait de lui, bien humblement, un chien de garde du cinéma de qualité, populaire ou d'auteur, à grand déploiement ou à petit budget, local ou étranger.

Le rôle du critique est de rester honnête et d'exprimer une opinion franche. Ce n'est pas moi qui le dis. C'est mon collègue Marc-André, toujours dans le cadre de cette discussion.

Tant qu'il y aura des gens pour s'informer de l'actualité cinématographique à travers la critique, en restant objectif, la critique poursuivra son évolution en évitant l'extinction. Car il faut bien, face à la campagne publicitaire de dizaines de millions de dollars d'un studio, quelqu'un de compétent, d'indépendant, de consciencieux, pour vous avertir que le dernier James Bond est décevant. Vous en ferez bien ensuite ce que vous voudrez.