La chasse aux Oscars est ouverte. Depuis plusieurs années, les studios hollywoodiens attendent au dernier moment pour mettre en valeur les films qu'ils estiment les plus susceptibles d'intéresser les électeurs des Academy Awards.

Pour la simple raison que plusieurs de ces académiciens vieillissants ont la mémoire courte. Se souviendront-ils en janvier d'un film qui a pris l'affiche huit mois plus tôt, tout mémorable soit-il? C'est un risque que les studios ne sont pas prêts à courir.

Plusieurs films potentiellement «oscarisables» prendront donc l'affiche d'ici la date limite d'admissibilité du 31 décembre.

La superproduction Australia et les drames politiques Milk et Frost/Nixon sont du lot. Ils portent pour différentes raisons le fameux sceau «For Your Oscar Consideration», formule consacrée par les studios à l'intention des membres votants de l'Académie.

Australia, la plus récente lubie cinématographique du fantaisiste Baz Luhrmann, est un film épique, grandiloquent, fait d'excès et de démesure, qui rappelle l'âge d'or de Hollywood. Une épopée romantique, campée dans l'Australie du début de la Seconde Guerre mondiale, dans la lignée de Gone With The Wind. Un genre, faut-il le souligner, très prisé par l'Académie.

Si cette oeuvre à grand déploiement n'a pas toutes les qualités requises pour se retrouver dans les catégories de pointe de la soirée des Oscars, le faste de sa production et ses codes empruntés au «bon vieux cinéma hollywoodien» risquent de plaire à bien des Académiciens. Je vois poindre à l'horizon de l'Outback australien quantité de mises en nomination pour des Oscars techniques (décors, costumes, direction artistique, etc.).

Rien n'est moins certain. Australia correspond à bien des égards au summum du kitsch. C'est un film larmoyant, rempli de bons sentiments, ultra prévisible, appuyé à outrance dans son jeu comme dans sa réalisation. Mais c'est une oeuvre au kitsch pleinement assumé, voire revendiqué par Baz Luhrmann, et pas seulement au second degré.

C'est un film qui, à cause de l'enflure de son scénario invraisemblable et de l'esbroufe de sa réalisation rococo, aurait dû m'exaspérer souverainement. Sans effort, j'ai au contraire accepté cette proposition saugrenue, même dans ses excès les plus navrants (Australia, je le précise, est loin d'être sans défaut), au point d'être ému par le charme qui s'en dégage.

Milk, en revanche, qui doit prendre l'affiche au Québec vendredi prochain, est l'exemple même de la sobriété. Du moins ce qui s'en approche le plus lorsque l'on s'appelle Gus Van Sant. Ce drame biographique relate le destin tragique de Harvey Milk, un militant gai, premier politicien ouvertement homosexuel de la ville de San Francisco, qui fut assassiné en 1978.

Cette leçon d'histoire et d'engagement politique évite l'écueil de la morale bien-pensante, sans perdre pour autant de son pouvoir évocateur. Poignant, inspirant, d'une absolue pertinence, Milk est peut-être le meilleur film américain que j'ai vu cette année.

On y retrouve avec plaisir Gus Van Sant là où on ne l'attendait plus, dans un cinéma plus conventionnel et plus «Oscar friendly» (comme on dit à Beverly Hills). Milk est en effet à mille lieues de l'exploration formelle minimaliste de Gerry, d'Elephant, de Last Days ou de Paranoid Park. C'est un film à classer dans le moule plus commercial de Good Will Hunting ou de Finding Forrester, sans le regard décalé de To Die For, mais avec l'acuité de My Own Pivate Idaho. Un excellent film grand public.

Je vous parie d'ailleurs un petit deux sur la présence de Sean Penn parmi les prochains finalistes de l'Oscar du meilleur acteur. Et à ses côtés, je vous parie un autre petit deux (ça risque de me coûter cher) de la candidature de Frank Langella dans la même catégorie.

Dans Frost/Nixon de Ron Howard (A Beautiful Mind), qui doit prendre l'affiche le 12 décembre au Québec, Langella incarne avec brio le président destitué Richard Nixon, peu après les événements de Watergate. Sans singer Tricky Dick, sans sombrer dans la caricature, mais avec ce qui semble être une réelle compréhension de ce personnage torturé, Langella offre l'une des belles performances d'acteur de l'année.

Frank Langella a eu le temps de peaufiner son interprétation. L'an dernier, à Londres et à New York, il a joué Richard Nixon au théâtre, dans la pièce du même nom écrite par Peter Morgan. Morgan, le scénariste de The Queen et The Last King of Scotland, signe également le scénario de Frost/Nixon, inspiré d'entrevues télévisées accordées en 1977 par le président déchu au journaliste britannique David Frost.

Comme sur les planches, c'est Michael Sheen (Tony Blair dans The Queen) qui donne la réplique à Langella dans le rôle de David Frost, à l'occasion de ce duel mémorable qui s'était soldé à l'époque par les «aveux» improbables de Nixon, devant des dizaines de millions de téléspectateurs.
Ron Howard a tiré de la pièce et du scénario de Morgan un film de facture classique, intelligent et divertissant, qui rend bien la tension des jeux des coulisses, de pouvoir et d'influence. Malgré son manque de personnalité, Frost/Nixon est à placer dans la colonne des bons films de Ron Howard, dont le parcours est particulièrement erratique. Un film qui pourrait se retrouver parmi les finalistes dans quelques catégories de la soirée des Oscars.

C'est ce que l'on verra en février.